
Une goutte de sang pour un océan de vie…
Yvon Le Men
…et d’amour, ajoute Nathalie, 14 ans, sur son sac à dos décoré de poèmes d’Yvon.
Si point ne craint l’Ailleurs…
Tara se promène un soir d’été dans la vallée. Ce matin, ses parents ont dû s’absenter d’urgence pour deux jours. Un orage d’une rare violence éclate au-dessus de sa tête ; au bout de quelques minutes, elle est déjà trempée. Ce qui l’inquiète, ce sont les arbres immenses autour d’elle et ce ciel sillonné d’éclairs. Elle grimpe au flanc de la vallée, et se trouve soudain tout essoufflée devant un château en ruines. Par endroits, seul se dresse un pan de mur presque totalement dévoré par la végétation. Un corps de bâtiment est pourtant restauré, peut-être même est-il habité malgré ses fenêtres hermétiquement closes. Tara se rappelle avoir souvent l’hiver regardé sa silhouette sombre de la fenêtre de sa chambre, sur l’autre versant. L’été, le feuillage exubérant la dérobe aux regards. Elle frappe au lourd vantail de chêne, personne ne répond. Elle insiste, la porte s’entrebâille d’elle-même.
« Curieux, ce n’est pas fermé. Peut-être ses habitants ne sont-ils sortis que pour un instant », se dit Tara.
Elle a hâte de les voir rentrer pour leur demander asile. Le tonnerre, les éclairs se déchaînent. Elle attend, nul ne vient. Pour distraire son attente, Tara se met à regarder les sculptures de la porte en bois vermoulu. Une inscription en vieux français l’intrigue. Elle s’efforce de la déchiffrer en ânonnant et finit par comprendre qu’elle signifie approximativement :
« Etranger, si point ne craint l’Ailleurs,
Sois le bienvenu. »
« Qu’est-ce que l’ailleurs », se demande Tara. « Le rêve ? La poésie ? Je n’en sais rien. En tout cas, je crains la foudre et, trempée comme je suis, je risque d’attraper la malemort pour parler en vieux français justement. De plus, je suis curieuse, alors j’entre. »
La porte grince. Des araignées étoilent les parois du vestibule. Un peu nerveuse, Tara suit un couloir et se retrouve, grelottante, dans une vaste salle. Elle n’en croit pas ses yeux. A son extrémité brûle dans une cheminée d’autrefois un magnifique feu de bois. La salle est vide, hormis une litière d’herbes odoriférantes devant le feu. Sur un mur de pierre nue, elle distingue deux tapisseries qui semblent tenir par miracle de part et d’autre d’un miroir marqué par le temps.
« Bon, j’irai voir cela tout à l’heure », pense Tara. Il faut d’abord que je me sèche.
Elle enlève son blue-jeans et, après l’avoir essoré, le pose sur le manteau de la cheminée. Somptueux séchoir. Avec un feu pareil, il sèchera vite. Ensuite, elle essuie son blouson de cuir avec un bouchon d’herbes pris à la litière. Elle s’accroupit devant le feu, son pull marin lui couvrant en partie les jambes pour les réchauffer et, le menton appuyé sur les genoux, se laisse aller au plaisir de contempler le feu et de sentir sa chaleur lui rosir les joues. Dehors, la nuit est tombée. Les éclairs, et les tressautements des flammes, illuminent la salle par intermittence. La pluie déferle, les ombres dansent. Soudain un grand craquement : la foudre s’est abattue non loin.
« Heureusement que j’ai trouvé ce refuge », songe Tara. « Je me demande si je vais devoir y passer la nuit. On verra bien. La personne qui habite là a probablement une voiture. Elle acceptera peut-être de me reconduire à la maison. Mais je dis une bêtise. Je ne vois pas comment une voiture pourrait venir ici. Qui sait s’il y a vraiment quelqu’un. Il n’y a pas de meubles… Pourtant il y a ce feu. Et Dieu, ce que c’est agréable !
Tara le fixe, les yeux mi-clos. Elle finit par s’assoupir. Lorsqu’elle s’éveille, elle jette quelques bûches dans le foyer. L’orage s’est éloigné, le vent le relaye et la pluie continue de tomber. La fillette est toujours seule. Son blue-jeans est sec. Elle l’enfile, remet son blouson de cuir et va se planter devant le miroir. Son petit peigne a du mal à démêler la longue chevelure noire. Le feu éclaire faiblement la salle et la surface du miroir est ternie par les ans.
Tara finit de se peigner cependant et regarde la tapisserie de gauche. Entouré d’un paysage sombre et accidenté, un homme qui aurait pu être très beau s’il n’avait eu une expression aussi dure, faucon au poing, dévisage une femme d’un air dominateur, encore exalté par son riche vêtement moyenâgeux, où se mêlent le noir, la pourpre et l’or. La dame, extrêmement belle dans une somptueuse robe blanc et or, a le regard lointain et le sourire indéchiffrable. Elle tient à la main une rose et, au milieu de la sauvagerie du paysage, toutes deux paraissent former un îlot infrangible.
Tara se dirige ensuite vers l’autre tapisserie et demeure la gorge nouée d’admiration. Dans le même décor sauvage qui est toujours celui de cette vallée, une licorne s’élance, splendide, éclatante de blancheur. Un jeune garçon aux cheveux d’or lui a passé les bras autour du cou. Les pieds soulevés de terre, il renverse la tête en arrière dans un rire joyeux tandis que la bête fantastique l’emporte. Il émane de cette tapisserie, aux couleurs pourtant fanées, une impression de joie indicible.
« Cheveux d’Or », murmure Tara.
Elle a l’impression étrange d’avoir déjà vu cette scène dans un autrefois impossible à situer… Elle reste longtemps immobile, subjuguée… puis soudain s’arrache à cette contemplation et se regarde dans la glace. Elle se sent un peu déphasée et ressent le besoin de voir son image de fille hirsute en jeans du vingt et unième siècle. Cette image est bien falote à la lueur des flammes. Tara a le sentiment troublant de se voir des visages qu’elle ne se connaît pas. Tout à coup, son cœur semble s’arrêter de battre. Le miroir a pris une teinte d’un violet de plus en plus intense, et son image s’est évanouie. Cela ne dure qu’une seconde mais elle a très peur. Elle comprend maintenant l’inscription de la porte.
La jeune fille revient s’asseoir devant le feu, les sourcils froncés, déçue de sa réaction. Elle en veut aussi à la nature, sans parler de ce sacré château, et n’a plus qu’un seul désir, se retrouver chez elle. Cependant, avec son sens de l’orientation, elle est sûre de se perdre au milieu des arbres. Aussi doit-elle attendre ici le lever du jour, même si son cœur bat plus vite à chaque craquement. De temps à autres, elle jette un coup d’œil du côté de la dame à la rose. Est-ce le jeu des flammes ? Elle semble lui sourire par instants, l’observer tristement à d’autres. Tara n’ose se tourner vers l’enfant et la licorne. Ne se montreront-ils pas moins joyeux devant sa lâcheté ? Alors elle dit à haute voix :
– Pas ce soir. Je reviendrai quand je serai prête.
Elle ferme les yeux et s’endort à nouveau.
L’anneau de lumière
Le jeune garçon descend de la tapisserie et vient prendre Tara par la main. De l’autre main, il calme la licorne en lui flattant le col.
« Quand tu viendras la prochaine fois, peut-être acceptera-t-elle que tu la montes », dit-il à la fillette. Cette nuit c’est trop tôt, tu as raison. Viens, je vais te montrer la vallée comme tu ne l’as jamais vue. La pluie s’est arrêtée.
La main du garçon est légère et tiède. Sa légèreté est communicative. Cheveux d’Or néglige d’ouvrir les portes et passe à travers les murs, Tara et la licorne aussi. Ils sont si légers et tout, alentour, devient si fluide… Cheveux d’Or se tient toujours entre la licorne et la jeune fille. La nuit répand ses myriades de pétales d’obscurité et pourtant les bois rayonnent. La plus petite fleur est devenue étoile. Tara porte les mains à ses oreilles traversées d’une traînée de douleur fulgurante. Une flèche sonore les a transpercées, stridente, avant de mourir dans l’espace et maintenant, le monde des sons offre doucement à son étonnement d’abord le carillon des fleurs, ensuite la voix grave des conifères… enfin la vallée entière l’emporte dans les vagues de sa mélodie.
Cheveux d’Or, sans jamais lâcher sa main, l’entraîne jusqu’au village, sur la hauteur où les maisons dorment nimbées d’une tendre lueur bleuâtre.
Des personnes se promènent par-dessus les toits.
– Tiens, voici l’épicière ! Et Yann ! Et puis Monique là-bas !
– Ils rêvent comme toi, lui dit Cheveux d’Or. Mais je ne crois pas qu’ils nous voient. Ils doivent rêver sur d’autres plans.
Plus tard, il murmure :
– Il faut que tu rentres maintenant. Chercheras-tu à me retrouver quand tu seras prête ?
– Je chercherai à te retrouver quand je serai prête, affirme Tara.
Cheveux d’Or ôte de son doigt un anneau en forme de serpent.
« Prends cet anneau de lumière », dit-il à Tara. « Quand tu décideras de voyager à travers le miroir, passe-le à ton doigt. N’oublie pas, avance en premier la main à l’anneau et tu entreras dans le miroir. A bientôt, ma mie… Ne tarde pas trop… Il y a si longtemps…
Le soleil se lève quand Tara se réveille ; elle retrouve son chemin sans encombre, à la fois joyeuse et bouleversée. A sa stupéfaction, n’a-t-elle pas découvert au matin un anneau dans sa main ? Et Cheveux d’Or lui paraît si étrange mais si proche.
Elle voudrait rencontrer quelqu’un de « normal » pour lui conter son aventure, mais à quatre heures trente tout le monde dort encore. A la réflexion, il vaut d’ailleurs mieux taire tout cela. Ne la croirait-on pas folle ?
« Il y a pourtant bien une personne que cette histoire intéressera au plus haut point », pense encore Tara. Arrivée à la maison, ses chats l’accueillent, ronronnant et surpris de la voir rentrer à pareille heure. Ils se frottent à ses jambes, la flairent et miaulent sur un ton interrogatif pendant qu’elle se prépare un solide petit déjeuner. Dame, elle n’a pas dîné la veille.
Vers dix heures, des amis viennent la chercher pour passer la journée sur la plage et le soir venu, ses parents la retrouvent tout imprégnée de soleil, de sel et de sable. Après dîner, Maxime, le père de Tara, s’étonne un peu que sa grande fille ait tant de choses à raconter à sa mère dans le secret de sa chambre après deux jours d’absence seulement mais, discret, il ne pose pas de question à sa femme.
Un présent inattendu
Quelque temps après, Maxime reçoit un coup de téléphone. Lorsqu’il repose le récepteur, il a l’air intrigué et sort dans le jardin où sa femme s’occupe des fleurs.
« Eliane, nous allons recevoir de la visite », lui dit-il. « Tu sais, le médecin, le spécialiste que nous avons rencontré dans le train l’autre jour, tu te rappelles que nous avions échangé des cartes de visite par pure politesse ? Eh bien, il vient d’appeler pour nous demander s’il pouvait venir prendre l’apéritif dans la soirée. J’ai bien sûr acquiescé. Ce qui m’étonne, c’est qu’il m’a demandé si j’avais bien une fille aux longs cheveux noirs. Lui avais-tu parlé de Tara ?
« Non », répond Eliane, songeuse. « …J’y pense tout à coup : n’est-ce pas lui qui nous a dit qu’il était propriétaire du château du haut de la vallée, mais qu’il préférait passer ses vacances dans sa maison du bord de mer ? »
– Si, pourquoi ?
« J’avais complètement oublié cela », reprend Eliane, si perplexe qu’elle plonge le nez dans les fleurs, sans plus se soucier de son mari. Sachant que dans ces cas-là, il est inutile d’insister, il part de son côté, et reprend sa lecture. Autant profiter du week-end…
Quand ce soir-là Tara rentre en trombe de sa promenade en vélo avec les copains, elle atterrit dans la salle de séjour, une énorme brassée de marguerites dans les bras pour s’arrêter brusquement, la bouche ouverte, le souffle coupé. Le miroir du château est là, appuyé contre le mur.
Un monsieur grisonnant, cigare aux lèvres et nœud papillon, discute avec ses parents. Eliane et Maxime semblent embarrassés. Maxime se ressaisit le premier et fait les présentations avant d’ajouter :
– Tu peux remercier ce Monsieur, Tara. Nous l’avons rencontré au cours du voyage de l’autre jour, et il tient absolument à t’offrir ce miroir qu’il gardait à Kastell ar Melezour, le château du haut de la vallée.
La jeune fille ne sait que dire. Pire, elle se sent rougir, mais le monsieur la tire d’embarras en s’exclamant :
– Ce n’est rien, ce n’est rien. Pour moi il n’a aucune valeur et je m’en serais débarrassé, alors j’ai pensé qu’une petite jeune fille romantique… Quelle belle soirée ! Vous en avez de la chance de vivre dans une si belle région à longueur d’année.
Manifestement, le visiteur ne désire pas s’appesantir sur la question de ce cadeau surprenant. En effet, pour tout l’or du monde, il ne voudrait avouer qu’il a eu pendant trois nuits consécutives un rêve impressionnant, lui enjoignant de remettre le miroir à la fille du couple avec qui il avait voyagé quelques jours auparavant. Le langage du rêve était étrange, ses résonances moyenâgeuses. Il était question d’une gente damoiselle aux cheveux couleur de nuit, appelée Tara la bien-aimée, perdue et retrouvée. La première fois, il s’était réveillé étonné d’avoir un rêve pareil à son âge, la deuxième il avait été troublé et la troisième, il avait téléphoné.
Au bout d’une heure de conversation à bâtons rompus, Eliane propose à leur invité de dîner « à la fortune du pot ». Il se fait bien un peu tirer l’oreille, comme il est d’usage, cependant l’accueil de ses hôtes étant particulièrement chaleureux il reste.
Kastell-ar-Melezour
L’atmosphère s’étant détendue, Maxime en vient à poser des questions sur les origines du château dont le médecin s’est fait l’acquéreur.
« Eh bien », dit le Dr Zannou, « il est bien dommage que mon fils aîné ne soit pas là. Il vous aurait mieux répondu que moi. Il est ethnologue, actuellement en mission quelque part en Inde. Mais, ses premières recherches d’ethnologie, il avait désiré les mener en Bretagne, vieille terre aux traditions encore solidement ancrées. D’après lui, il y aurait là matière à des investigations au moins aussi riches qu’en Asie ou sur le continent américain. Evidemment, lorsque j’ai acheté le château il s’est penché sur ses origines. L’histoire écrite était brève et pleine de lacunes. Il a fallu bien des mois et des veillées pour essayer de remplir ces lacunes à l’aide des bavardages et des contes des vieilles personnes alentour.
« Il en est ressorti enfin qu’au Moyen Age, la vie autour de ce château n’a pas toujours été facile pour les paysans. Le seigneur qui l’avait fait bâtir avait une telle réputation qu’on l’avait surnommé Le Cruel. Il ravageait les terres avec ses grandes chasses, car ce qu’il aimait par-dessus tout, c’était chasser. Cela ne l’empêchait guère de trop taxer les malheureux paysans. Certains avaient osé protester et ils étaient morts dans d’horribles souffrances.
« Un jour, il avait rencontré sur le parvis de l’église une très belle jeune fille, Dana, la fille d’un tailleur de pierre fort respecté dans la région de son vivant. On disait d’elle qu’elle était non seulement fort belle et pleine d’une grande sagesse héritée de son père, mais aussi experte en magie blanche. Dans son jardin poussaient l’herbe de Saint-Jean, la fleur de vipère ou doigt de la vierge, la valériane, la cardamine et toutes sortes d’autres simples.
« Elle soignait qui venait la voir. Si elle ne pouvait guérir, elle le disait et renvoyait à plus savant qu’elle. Sa réputation était parvenue aux oreilles du Cruel, cependant il ne l’avait encore jamais vue et il demeura fasciné. Il voulut lui parler, elle était déjà partie. Il la fit guetter par ses hommes pour connaître ses habitudes, elle était trop imprévisible pour eux. Chaque fois, ils perdaient soudain sa trace. Impatient et furieux, il décida de la suivre lui-même. Ce jour-là elle ne sortit pas de chez elle. A bout de nerfs, il frappa à sa porte. Dana ouvrit, et comme elle le regardait calmement dans les yeux en lui demandant ce qu’il désirait, il bafouilla et finit par dire :
– Gente damoiselle, je suis malade. J’ai ouï dire que vous guérissiez et je suis venu.
« Elle le fit entrer, lui offrit un siège dans un coin de pénombre et lui demanda d’où il souffrait. Il répondit n’importe quoi. Alors elle lui prit une main dans les siennes et le regarda longuement. Il se sentait bouillir intérieurement. Toutefois, pour la première fois de sa vie il n’osait rien brusquer.
« Dana lâcha enfin sa main et, plongeant dans ses yeux un regard pénétrant, elle lui dit doucement :
« – Je ne peux rien pour vous. C’est votre âme qui est malade. Il n’y a que vous qui puissiez la guérir avec l’aide du Seigneur.
« La colère injecta de sang les yeux du Cruel.
« Sais-tu à qui tu parles, petite dévergondée », hurla-t-il.
« Oui », répondit Dana, toujours aussi calme. « Mais je vous aurais quand même soigné si je l’avais pu. »
« Le Cruel suffoquait. Il appela ses guerriers qui jetèrent la jeune fille sur le dos d’un cheval. Et la foule de paysans accourus fut maintenue en respect par les lances des soldats. C’est la mort dans l’âme qu’ils assistèrent impuissants à ce rapt. Le seigneur et ses hommes partirent dans le cliquetis des armes et un nuage de poussière.
« La veillée fut encore plus triste qu’à l’accoutumée. Bien des jeunes filles avaient disparu ainsi au fil des ans, et personne ne les avait jamais revues.
« Que fit Dana ? Nul ne le sait. Quoi qu’il en soit, un mois jour pour jour après cet enlèvement, tous les habitants des villages alentour étaient conviés à ses épousailles avec Le Cruel.
« La première année de ce mariage étrange, Le Cruel parût s’être apaisé. Il chassait en forêt uniquement. Les champs ne furent point dévastés et les impôts s’avérèrent moins lourds. Dana l’avait-elle ensorcelé avec sa magie blanche ?
« L’année suivante, les grandes chasses reprirent de plus belle et les impôts furent si lourds que les paysans n’ayant plus rien à perdre sinon leur vie, organisèrent une jacquerie au cours de l’hiver. Nombreux ne virent point le printemps. Dana sortait du château par une porte dérobée, soignait, apportait vivres et remèdes. Elle ne parlait pas, un sillon creusait son front. Tout ce qu’elle faisait était une goutte d’eau dans un océan de souffrance et de révolte. Et cela, elle le savait bien.
« Au cours de la troisième année, par un clair matin, les cloches se mirent à sonner à la volée. Un héritier venait de naître au château. Dans l’après-midi on vit arriver au village un voyageur couvert de poussière, l’air jeune malgré son abondante chevelure blanche, les yeux si clairs qu’ils semblaient transpercer ceux qu’ils regardaient.
Il s’arrêta à la fontaine, but de l’eau, se lava la figure et les mains. Il fit également boire ses chevaux à l’abreuvoir car s’il en montait un, l’autre avait l’air de transporter des bagages ou des marchandises. Les gens n’avaient pas l’habitude de voir des étrangers. Ils vinrent en curieux, et craintifs, restèrent à distance. Les enfants, plus hardis, s’approchèrent et l’homme leur ayant souri, ils lui demandèrent d’où il venait.
« Oh, j’ai beaucoup voyagé », répondit l’homme d’une voix grave. « J’ai d’abord vécu dans de sombres forêts. Ensuite, je suis parti voir le monde. Et j’ai traversé des pays où il fait si chaud qu’on y vit presque nu, ce qui ne rend ni pire ni meilleur qu’ici.
« Les enfants écoutaient et l’homme continuait de parler mais les villageois, trop éloignés de lui et trop méfiants pour se rapprocher, n’entendaient rien. Ils partirent donc vaquer à leurs occupations tout en surveillant l’étranger du coin de l’œil. Jamais nul n’a su ce qu’il raconta à leurs enfants car, plus tard, aucun d’eux n’a pu le répéter. Seul un sourire inhabituel irradiait leur visage.
« Au crépuscule, il monta sur son cheval et partit sans hésiter sur la route menant au château. Et l’on vit avec étonnement le pont-levis s’abaisser.
« De méchantes langues insinuèrent ce soir-là que c’était sans doute un de ces druides vivant encore dans les bois ou bien alors un magicien, peut-être un alchimiste. « Notre seigneur Le Cruel aime tant l’or. Paraît que ces sorciers savent en faire avec du plomb. » Dans l’émotion, on en avait presque oublié la naissance du bébé.
« …C’était, je crois, Merlin l’enchanteur », avait murmuré une petite fille avant de s’endormir dans les bras de sa mère.
« Le surlendemain, on vit l’homme sortir du château et disparaître dans la forêt. On parla d’un miroir extraordinaire qu’il avait offert au nouveau-né. Un miroir venant d’Orient… Et depuis, le château s’est appelé Kastell ar Melezour, le Château du Miroir.
« L’enfant grandit. On l’avait nommé Ogma. Très rêveur, il enchantait ses camarades de jeu par ses inventions. Il grandissait ainsi, harmonieux et doux entre Dana la mystérieuse et Conan Le Cruel. Il aimait à s’enfermer avec sa mère dans la pièce où avait été posé le fameux miroir. Par la fenêtre entrouverte on y entendait jouer de la harpe. Cette salle, Dana la lui avait offerte et de surcroît, elle avait obtenu que personne n’y mît les pieds hormis tous deux. Apparemment, elle fait partie de ce qui reste actuellement du château.
Mais la vie paisible d’Ogma ne devait guère durer. En effet, une licorne hantait la forêt toute proche. Le Cruel la traqua et réussit à lui tendre un piège. Elle fut percée d’une centaine de flèches. Les chasseurs poussèrent un hurlement de joie qui s’éteignit brutalement lorsqu’ils virent le jeune Ogma jaillir d’un fourré avec un cri de désespoir, s’élancer sur la bête, lui mettre les bras autour du cou avec amour et s’abattre enfin sans vie, le cœur brisé.
« Le Cruel se repentit alors publiquement de la vie qu’il avait menée jusque là, et distribua une grande partie de ses biens aux paysans. Après un certain temps, il se serait fait admettre par un ordre religieux, peut-être celui des Templiers qui avait une enclave dans la région. Il aurait ainsi fini ses jours en Palestine. Ensuite Dana disparut dans la forêt et le château fut abandonné.
« Voilà une histoire où l’imaginaire a irrémédiablement submergé les faits historiques », conclut le Dr Zannou.
« Elle est d’autant plus fascinante, et je vous remercie de l’avoir si bien contée », dit Eliane en souriant.
« Moi, une chose beaucoup plus terre à terre m’intrigue », enchaîne Maxime. « Je vous prie d’excuser mon indiscrétion, mais comment se fait-il qu’après avoir entrepris la restauration d’une aile du château, ce qui n’est pas une mince affaire, à tous points de vue, vous ne l’ayez pas habité ? »
Le Dr Zannou paraît gêné. Tara et sa mère se regardent. Maxime regrette un peu d’avoir posé cette question, à l’évidence embarrassante pour leur visiteur. Il cherche un moyen de rompre le silence quand le docteur répond.
– Eh bien, c’est difficile à dire. En vieux rationaliste que je suis, je n’avais pas pensé qu’une ancienne demeure chargée de souvenirs pouvait être aussi vivante. Je croyais avoir affaire à de simples murs de pierre. Croyez-moi, je me répète, mais c’est fort difficile à expliquer.
Il marque une pause pendant que Maxime sert les liqueurs, puis reprend :
– J’étais venu dans la région pour me reposer. Au lieu de cela, je me trouvai assailli par des rêves étranges, et je commençai à me poser des problèmes que je croyais avoir classés il y a longtemps et une bonne fois pour toutes. J’ai tenu un certain temps, puis les rêves les plus bizarres se succédant à une cadence accrue, j’ai abandonné. Sans doute le climat du haut de la vallée ne m’est-il pas salutaire. Toujours est-il que l’air marin me réussit mieux.
« …Jusqu’à nouvel ordre », ajoute-t-il en pensant à ses trois derniers rêves.
Le voyage à rebours
Maintenant le miroir est installé dans la chambre de Tara. Eliane a émis des objections, mais Maxime les a reléguées au rang de superstitions d’un autre âge.
Les jours et les nuits se succèdent. Le jour Tara s’active avec ses copains. Elle nage, court, son rire s’égrène aux quatre vents.
Le soir elle pense à Cheveux d’Or, le désir de le revoir grandit au fil des nuits. Elle a le sentiment confus de le connaître depuis bien longtemps et d’en avoir été séparée. Ogma et Cheveux d’Or ne font qu’un, elle en est sûre. Mais que s’est-il passé en réalité ? Une nuit, Tara demeure éveillée, incapable de trouver le sommeil. Quand le silence s’est insinué dans tous les recoins de la maison, elle se lève, prend l’anneau d’Ogma et le met à son doigt.
Se dirigeant résolument vers le miroir, la main dressée en avant, elle y pénètre.
Dans une cabane misérable, une petite fille d’un peu plus de six ans pleure en appelant sa mère. L’enfant lui embrasse la figure et les mains, mais elle dort et puis… elle est si froide.
La porte s’ouvre. Entre une belle dame blonde, Dana la châtelaine. L’air ému, elle contemple la femme et prend la petite dans ses bras. Dans un souffle, elle murmure : « Quelle misère. » Elle serre la fillette contre son cœur et, après un long moment, la dépose à terre. S’agenouillant pour se mettre à son niveau, elle lui dit :
– Sylvaine, ta maman a fini de souffrir. Elle est partie rejoindre ton père au ciel. Viens avec moi. Ogma aura désormais une sœur.
Et la petite fille entre dans le château qui lui fait si peur. Dana et les autres dames se montrent très bonnes pour elle. Elles la lavent, la parfument, lui peignent ses longs cheveux noirs en s’extasiant sur leur beauté, et chaque fois qu’elle refuse de se nourrir en réclamant sa mère elles lui disent des paroles si douces sur l’endroit où se trouvent son père et sa mère, veillant sur elle du haut du ciel, qu’elle finit par sourire et par manger.
Ce soir-là, Dana a préparé en l’honneur des sept ans d’Ogma une fête dont ils sont les seuls acteurs et les seuls spectateurs. Après avoir fait brûler des parfums dans la Salle au Miroir, Dana allume de chaque côté de la glace un chandelier d’or et d’argent, puis elle entonne une mélopée dans une langue inconnue. Est-ce d’ailleurs une langue ? L’enfant la regarde, envahi par les sons, les parfums, la lumière même qui maintenant vibre plus intensément autour d’eux. Dana lui prend la main, elle parle doucement :
– Suis-moi, nous partons en voyage au travers du miroir. Aie confiance. Vois, tout est fluide autour de nous. Plus rien n’est dur.
Et tout, autour d’eux, se déroule en vagues intangibles de pulsations multicolores…
Dana enjambe le cadre du miroir, Ogma n’a pas l’ombre d’une hésitation. Ils s’enfoncent ainsi dans une clarté violette et bleue. De l’autre côté du miroir, de grands arbres lumineux tissent le réseau d’une forêt flamboyante. Des traits de lumière traversent l’espace comme des oiseaux. Ogma éclate de rire en battant des mains. Des profondeurs de la forêt s’avance, majestueuse, une jument blanche. Sur son front étincelle de mille feux la lame acérée d’une longue corne spiralée.
« C’est la licorne », murmure Dana. « Rares sont ceux qui l’aperçoivent. »
Son pelage resplendit d’un éclat tel que Dana recule, éblouie. Ogma ne bronche pas et, sans trembler, son regard émerveillé scrute l’inconnue. Elle s’est arrêtée, loin sur le sentier, et le fixe longuement elle aussi. Au bout d’un moment elle s’en retourne, alors Ogma s’en revient à petits pas vers sa mère. Ils sortent en silence du miroir et l’enfant s’endort aussitôt.
Le lendemain, il veut retrouver la forêt flamboyante, mais sa mère lui déclare qu’il ne faut pas abuser de ces jeux-là… « Mieux vaut attendre… Une petite fille vient d’arriver au château, son cœur est triste », explique Dana, « peut-être pourras-tu y remettre le rire à neuf… »
Et c’est ainsi qu’Ogma rencontre Sylvaine. Très vite, ils sont inséparables et se donnent des noms secrets. Ogma devient Cheveux d’Or pour Sylvaine, et Sylvaine devient Tara la bien-aimée pour Ogma. Ils ont les mêmes jeux et le même maître, l’homme qui a offert le miroir à la naissance d’Ogma. Au fil des ans, ils apprennent ensemble à lire et écrire, à déchiffrer et composer de la musique. Ensemble aussi, ils découvrent le nom des plantes et des animaux, leurs vertus et leurs défauts ; et le nom des astres leur ouvre la porte du mystère de leur naissance.
Le père d’Ogma s’intéresse davantage à lui maintenant qu’il sort de l’enfance. Lorsque Le Cruel est là, Sylvaine s’efface dans l’ombre et disparaît. Le beau seigneur si redoutable apprend à son fils à monter à cheval et, avec sa dureté habituelle, lui enseigne l’endurance et le courage. Serrant les dents pour ne pas pleurer d’épuisement, Ogma parcourt les forêts avec son père à la recherche de gibier.
« Mon père, c’est le maître-artisan de la mort », dit un jour Ogma, levant un visage tourmenté vers son précepteur.
« Tu appartiens à la lumière », lui est-il répondu. « Tu dois connaître aussi l’obscurité pour en être maître. »
Dana lui fait traverser le miroir deux autres fois, et la licorne se rapproche. Dana ne recule plus. Mais Ogma s’avance, irrésistiblement attiré vers cet être si beau, et Dana le retient.
« Pas encore », le prie-t-elle doucement. « Reste encore un peu avec moi. » Sa voix est émue.
Cependant, le jour de ses quatorze ans, elle lui donne une clé d’or, la clé de la Salle au Miroir.
« Désormais, tu pourras partir seul à l’aventure dans les autres mondes », lui dit-elle d’une voix grave.
Elle est froide et hiératique. Ogma devrait être heureux. Depuis longtemps il aspire à cela, pourtant il pense :
– C’est la prêtresse des voyages dans l’Ailleurs. Que ma mère est loin.
Il se sent glacé. Soudain, c’est sa mère à nouveau. Elle lui prend le visage entre les mains, le couvre de baisers et de la voix chaude et enveloppante qu’il aime, elle ajoute :
– Ogma, mon tout-petit, prends bien garde à toi. Tu es si jeune. Ne va pas trop loin, pas trop vite. La licorne est belle mais elle va si vite, si loin…
Elle rit, et poursuit d’une voix qui tremble un peu :
– Je voudrais te garder toujours avec moi…
Elle enchaîne en le prenant par la main et en courant comme une jeune fille :
– Viens voir la surprise que j’ai pour toi.
La salle est remplie de jouvenceaux et de jouvencelles venus des villages et hameaux voisins. Il y a des musiciens, des troubadours, des jongleurs, c’est la fête.
Ogma danse avec Sylvaine.
« Viendras-tu avec moi dans le miroir », lui demande-t-il tout bas.
« J’ai peur », murmure-t-elle, les yeux baissés. Et elle passe dans les bras d’un autre jeune danseur.
Ogma et sa belle amie, la licorne, se prennent d’un tel attachement l’un pour l’autre que tous les matins à l’aube, c’est un véritable arrache-cœur que de se séparer. Une nuit, la licorne paraît encore plus enjouée que d’habitude :
« Ogma, Ogma », dit-elle au garçon. « Je suis si heureuse. J’ai obtenu l’autorisation de te rencontrer dans ton monde. La nuit, tu me rejoindras à travers le miroir. Le jour, je t’attendrai dans la forêt qui borde ton château. Mais il faut être prudent… car si les hommes me voyaient, ils me tueraient. »
« Pourquoi ?! » s’exclame Ogma.
– Je ne sais pas exactement pourquoi, mais certaines de mes sœurs qui se sont montrées imprudentes ont été tuées par des chasseurs. Laissons cela. Viens avec moi… Ce soir, je t’emmène dans la sphère de la musique.
Et elle s’envole avec Ogma la figure enfouie dans sa crinière, les bras passés autour de son cou.
Le serment
Les jours passent. Ogma est parfaitement heureux, car maintenant Sylvaine vient souvent avec lui à la rencontre de la licorne. Cependant, elle n’ose monter sur son dos. Tout juste lui effleure-t-elle la crinière du bout des doigts.
Le Cruel, lui, s’étonne de ne voir son fils que rarement. Il rit à part lui :
– Le garnement, moi aussi je disparaissais à son âge. La chasse et les filles m’occupaient déjà. Voyons un peu où passe ce gaillard.
Et il se met à suivre Ogma, aussi silencieux que lorsqu’il traque le gibier ; Ogma ne peut se douter de rien. Sylvaine l’attend à l’orée de la forêt.
« Tiens, tiens, la diablesse adoptée par ma femme est là », pense Le Cruel.
Les enfants marchent en chantant allégrement et n’ont pas l’allure craintive, ou tout au moins méfiante, qu’ils auraient pu légitimement adopter dans des bois aussi denses. Ils débouchent dans une clairière où, splendide et lumineuse, attend une licorne. Le Cruel manque pousser un cri en voyant la bête fabuleuse. La main à son épée, il s’apprête à défendre la vie de son fils, mais le jeune garçon et la licorne se sont déjà élancés l’un vers l’autre et se font mille caresses. Ogma saute sur le dos de la licorne.
« Tu ne veux toujours pas venir ?» crie-t-il, moqueur, à Sylvaine.
« Non », crie-t-elle à son tour, vexée. « J’appartiens à la terre, moi, et j’en suis bien contente ! Je suis sûre que Dame Licorne me trouverait trop lourde.
« Tu as peur, c’est tout », lui dit Ogma en lui envoyant un baiser du bout des doigts.
Il s’élance dans la futaie, abandonnant Sylvaine à la cueillette des fleurs. Le cœur mordu par la jalousie, elle se tresse ceintures et couronnes et, plongée dans ses pensées, elle ne sent pas la présence de Conan.
Le rire d’Ogma fuse dans la forêt et remplit les oreilles du Cruel. Caché par les arbres, il regarde, les yeux écarquillés, et se demande s’il est le jouet d’une hallucination ou d’un sortilège. Il est furieux. Parce qu’il ne comprend pas. Comment son fils, trop timoré et fragile à son goût, a-t-il pu dompter ce monstre de légende ?
Le Cruel finit par rentrer au château. Il sait taire sa découverte. Son instinct de chasseur est en éveil. Il décide de suivre son fils pour s’assurer qu’il n’a pas été victime d’une illusion. Si réellement ce garçon a pu dresser cette bête, lui Le Cruel pourra la tuer. Cela terrifiera ses ennemis et lui assurera une réputation de force unique. Le seigneur suit donc son fils une nouvelle fois, et arrête son plan.
Ce matin-là Ogma et Sylvaine ont emporté leurs instruments de musique dans le parc. La nature est en fête, mais Sylvaine est submergée par le flot d’une tristesse infinie. Ogma la presse de questions, étonné de la voir dans un tel abattement, elle si vive à l’accoutumée. Elle ne veut pas répondre. Enfin, la voici qui cède devant son insistance :
« Ta mère m’a enseigné à connaître l’avenir », lui dit-elle. « La nuit dernière, j’ai su que tu partirais avec la licorne et que je ne te reverrais plus. »
« Ce n’est pas vrai ! » s’écrie Ogma. « Si je partais, je t’emmènerais avec moi, tu le sais bien. »
« Je sais que tel est ton souhait, Cheveux d’Or. Mais je sais aussi que tu partiras seul avec la licorne », répond Sylvaine.
Elle se cache le visage dans les mains. Ogma, tourmenté à son tour, lui caresse les cheveux, essaye de la rassurer sans y croire. Finalement, il lui dégage la figure et, la regardant dans les yeux, il lui dit d’une voix qu’elle ne lui a encore jamais entendue :
– Tara, si jamais nous devions être séparés, ce qu’à Dieu ne plaise, je te fais le serment sur mon âme que, dussé-je traverser les sept cieux, je te chercherai dans les mondes visibles et invisibles et te retrouverai.
Et Tara sait qu’il en sera ainsi. Il lui embrasse les paupières, les mains, et ajoute :
– Pardonne-moi, ma mie, j’entends l’appel de la licorne. Je m’en vais la rencontrer mais ne tarderai guère. Veux-tu me composer un nouvel air en attendant : je t’ai écrit ce poème.
Cheveux d’Or lui donne sa harpe et le poème. Il est déjà parti.
Dana et Tara la bien-aimée filent comme le vent sur leurs coursiers rapides, les cheveux de soleil et les cheveux de nuit accrochent le feuillage de la forêt. Elles savent qu’un malheur est arrivé. Elles débouchent dans la clairière. Les chasseurs sont debout, pâles et silencieux. Le Cruel se tourne vers Dana, le visage ravagé par la douleur, incapable de prononcer une parole.
Ogma et la licorne gisent sans vie, couchés sur les feuilles d’automne.
Soudain, un murmure parcourt l’assemblée, tel le frisson du vent dans la feuillée. Ogma se relève. Il rayonne d’une douce clarté. Il caresse la licorne et l’aide à se dresser sur ses pattes, puis mettant ses bras autour du col de la bête, il lui dit : « Va ! » Alors elle s’élance dans les airs, éblouissante de lumière, emportant Ogma ailleurs, par delà l’obscure forêt.
Retrouvailles
Tara se retrouve devant le miroir, les larmes aux yeux. Elle se retourne et regarde par la fenêtre. Sous le clair de lune se devine le château, de l’autre côté de la vallée. Elle sourit très légèrement et murmure dans un souffle :
– Cheveux d’Or, à toi de tenir ton serment maintenant…
Malgré sa voix à peine audible, il lui semble que ses paroles résonnent à l’infini dans l’espace.
L’été tire à sa fin. C’est le dernier dimanche avant la rentrée des classes. Tara rôde autour du château sous prétexte de chercher des mûres. En dépit de ses protestations, sa mère lui a fait promettre de ne pas y pénétrer. Soudain, elle entend derrière elle le bruit d’un galop. Elle se retourne. Là, en jeans et T-shirt bleu nuit, chevauchant une jument à la robe d’une blancheur éclatante, Cheveux d’Or se tient devant elle.
Eliane et Maxime sont en train de siroter leur café dans le jardin quand ils ont la surprise de voir arriver Tara, montée sur une superbe jument blanche derrière un garçon aux cheveux d’or. Les deux adolescents rayonnent de joie.
« Papa, Maman, crie Tara. Ce sont nos nouveaux voisins. Demain nous irons au C E S ensemble ! »
« Parfois le fantastique devient quotidien », murmure Eliane à Maxime d’un air malicieux, et Maxime qui ne l’écoute pas, sourit dans sa moustache et poursuit son propre rêve dans la torpeur douce-amère de la fin des vacances.
En cette paisible fin d’après-midi, un garçon et une fille portés par une splendide jument blanche galopent dans la lumière du couchant…
Des murmures en cent mille langues se répandent à leur suite sur la lande. Ils parlent de Tara la bien-aimée et de Cheveux d’Or, d’une licorne messagère de lumière, et de traversées…
Ils disent le si long voyage de la fille de la terre et du fils de l’espace en quête l’un de l’autre à travers les mondes, à travers le temps, et chantent leurs retrouvailles…
Saint-Quay-Perros, 2012.

Ce récit vous a plu !
Vous souhaitez partager votre ressenti !
N’hésitez pas à laisser un commentaire.