LA SALAMANDRE
Conté par Waï-Da Witty

Photo de Luciano Cruz
Parfois le vent se lève, et
Le grondement des vagues emplit
Un espace hors du temps…
« Quelle est l’origine des étoiles ? Pourquoi le monde existe-t-il ? De quoi suis-je faite ? »
« Regarde vivre les plantes, les animaux, écoute le vent, déchiffre le message des rivières en quête de l’Océan. Ils t’enseigneront plus que je ne saurais jamais le faire », répondit l’homme à la fillette.
Morweena aima cette réponse et la laissa conduire le fil de sa vie…
Un dimanche matin du mois de mars, elle mit ses bottes et son ciré jaunes et sortit dans le jardin. L’odeur de terreau et de sève nouvelle, mêlée à l’iode de la marée d’équinoxe, la saisit de plein fouet. Le printemps était proche. La nature entière se préparait à renaître au soleil et à la joie. Finie, la longue nuit des mois sombres. Morweena en ressentait des picotements au bout des doigts.
Elle fit le tour du jardin pour voir si les graines qu’elle avait semées en automne commençaient à donner des fleurs. Au détour d’une rocaille où s’accrochait de la joubarbe, elle aperçut une salamandre qui la regardait fixement. Morweena la prit dans la main, lui caressa la tête et lui parla tout bas :
« Tu viens de te réveiller du long hiver, petite salamandre ? Alors c’est vraiment le printemps ? Allez, va explorer ton domaine. »
Elle la déposa délicatement sur le sol moite de rosée. L’animal noir tacheté de jaune s’avança tranquillement. Comme il s’arrêtait devant la porte du jardin, Morweena la lui ouvrit et se mit à le suivre. C’était vraiment surprenant de voir le petit batracien marcher devant la fillette comme un animal domestique.
Le vent se leva, et le grondement des vagues emplit un espace hors du temps…
Trois vieilles femmes croisèrent Morweena et la salamandre. Leurs longues robes floues éclaboussaient la lumière matinale de taches ocre, indigo et pourpres. Leurs cheveux blancs un peu follets s’échappaient de capelines ornées de fleurs et de fruits. Toutes les trois s’arrêtèrent pour regarder passer la fillette et la salamandre.
« Ne suis pas cette bête ! » cria en premier l’une des vieilles dames à Morweena. « Elle te mènera aux portes de la mort ! Ecoute-nous, nous sommes aussi vieilles que la nuit, la terre et le ciel. »
Et Morweena se sentit glacée.
« Attention ! Elle te mènera au Portail secret ! Es-tu prête pour cela ?» ajouta une deuxième vieille dame d’une voix grave.
Et Morweena sentit son cœur battre plus vite.
« Tu verras la roue du destin », lui dit la troisième vieille dame. Elle avait la voix douce et le sourire mystérieux.
Morweena avait ralenti l’allure. Elle suivit la salamandre du regard. Elle était déjà loin. La fillette se précipita derrière elle, alors que les trois sœurs disparaissaient au tournant de la route.
La salamandre filait rapidement. Morweena devait tantôt courir dans les herbes folles, tantôt escalader de gros cailloux. Elles arrivèrent ainsi sur un tertre où se dressait une petite chapelle. Sur son flanc s’encastrait, dans une niche de verdure, un calvaire de granit rose, rongé par le temps et les intempéries. Morweena toucha le visage de la statue qu’il abritait, et s’étonna de sentir ses doigts s’y enfoncer. La sculpture était molle, presque gluante.
Très intriguée, la fillette entra dans la chapelle : le curé lui donnerait peut-être des explications. Mais il n’y avait personne. Elle poursuivit donc son chemin, se disant qu’elle trouverait bien quelqu’un pour éclaircir ce mystère. Elle était plongée si profondément dans ses pensées qu’elle avançait machinalement, sans rien regarder. Soudain, elle réalisa qu’elle longeait le mur d’un tunnel très fortement éclairé. Surprise, elle se rua de toutes ses forces vers la sortie du tunnel et déboucha dans une rue. Elle traversa la chaussée, en courant toujours, inquiète de se trouver dans ce lieu inconnu.
Comment avait-elle pu aboutir là ? C’est alors qu’elle vit la salamandre au pied du mur du tunnel qu’elle venait de quitter. La salamandre la regardait de ses yeux fixes et demeurait immobile. Attendait-elle que Morweena la suive ?
Morweena voulut bondir et l’attraper. Elle s’élança, la main tendue. Une horrible décharge la foudroya, la clouant dans son mouvement, blanche comme une statue de sel dans un univers crayeux. Tout, autour d’elle, était devenu d’un blanc calcaire et d’une immobilité absolue : les vêtements de Morweena, la salamandre, le mur, la rue. La lumière était crue et blanche. L’air semblait dense et figé. Morweena voyait, pensait, se voyait comme si elle était en dehors d’elle-même. Elle ne pouvait bouger.
Le temps s’écoulait lentement, indéfiniment. Morweena luttait pour que sa pensée ne se figeât point elle aussi. Il lui semblait devenir minérale et la fillette se débattait pour rester elle-même. « Surtout ne pas s’endormir ! » se criait-elle. Afin de rester éveillée, elle se récita tous les poèmes qu’elle avait appris à l’école, mais l’inventaire fut vite épuisé. Un livre de Kipling lui revint en mémoire, où Kim, le héros, avait dans des circonstances analogues, maintenu son esprit en éveil en se récitant la table de multiplication. Elle, qui pourtant n’aimait pas beaucoup les mathématiques, se jeta sur cette planche de salut et se mit à débiter avec ardeur sa table de Pythagore. Les choses autour d’elle commencèrent à se colorer au fur et à mesure qu’elle se concentrait davantage. Elle sentit la brise dans ses cheveux et se vit à nouveau de chair et d’os, douée de mouvement.
L’air fut alors déchiré par on ne sait quoi, peut-être un son unique, et Morweena se sentit aspirée dans l’espace à une vitesse vertigineuse. Elle voyait défiler en sens inverse les paysages où elle aimait courir. Elle aurait voulu s’accrocher aux arbres, mais, à peine les avait-elle aperçus, qu’ils avaient déjà disparu. Elle revit son jardin, ses parents qui faisaient la grasse matinée dans la maison. Le toit par-dessus leur tête semblait de glace transparente.
Et elle se retrouva projetée énergiquement dans un fauteuil. Ce fauteuil était dans un bureau très clair, où un homme en pull col roulé et veste de cuir, assis sur le rebord d’une table, souriait aimablement à une nombreuse assistance.
« Bonjour Morweena », dit-il. Nous t’attendions pour commencer. L’effectif du cours est complet maintenant. Vous avez réussi à traverser le mur qui sépare vos questions de leurs réponses. Avez-vous trouvé le voyage trop mouvementé à votre gré ? C’est cela, l’aventure à la recherche de la connaissance… et vous êtes jugés prêts pour la Grande Aventure. »
Tous écoutaient attentivement. « A présent, vous allez franchir la première étape. Ensuite vous retournerez d’où vous êtes venus. Personne ne se doutera de votre aventure. De ce côté-ci de la vie, vous êtes hors du temps. »
Les étudiants furent appelés à tour de rôle. Il y avait une fiche pour chacun d’eux. Après y avoir ajouté quelques annotations, le maître la reclassait, montrait l’une des douze portes ouvrant sur l’inconnu, et souhaitait bonne route au voyageur ou à la voyageuse en lui donnant l’accolade.
Bientôt ce fut le tour de Morweena. Elle sortit à l’air libre, pleine de joie et d’impatience. Elle se trouvait sur un campus noyé de vert, avec juste une goutte de bleu pour illuminer l’horizon. Les collines aux courbes douces et fuyantes étaient ponctuées ça et là de bouquets d’arbres. Morweena eut envie de voir ce qu’il y avait au-delà, et se mit à courir sur la pelouse. Arrivée tout essoufflée au sommet d’un tertre, elle vit avec surprise, dans le fond d’une vallée à l’aspect sauvage, les ruines d’un temple à ciel ouvert.
Elle fut tentée d’aller les regarder de plus près. Une crainte indéfinissable la retenait. Elle hésita longtemps. Pour finir, elle se joignit à un groupe d’étudiants qui venaient d’arriver. S’étant avancés pour regarder le panorama, ils virent à leur tour les ruines.
« C’est merveilleux », s’écria l’un d’eux. « Allons-y avant que le soleil ne se couche. » Les autres se montraient réticents, l’après-midi étant déjà bien avancé. Finalement, ils se laissèrent entraîner par l’enthousiasme de leur camarade, et dévalèrent la colline. Morweena les suivait, faisant taire son angoisse. A plusieurs, quel danger pourrait-il y avoir ?
En passant, elle eut l’impression de voir la salamandre qui se chauffait au soleil sur un rocher. Elle se rappela ce que lui avait crié en premier l’une des trois vieilles femmes… Une fois de plus, elle eut envie de rebrousser chemin, puis elle pensa aux paroles de la deuxième vieille femme… « Le Portail secret… » Et, le cœur battant à tout rompre, elle courut devant les jeunes gens qui riaient de la voir bondir telle un jeune cabri un peu fou, ses tresses lui sautant sur le dos.
Il faisait délicieusement chaud, et Morweena pensa : « Tiens, par ici c’est déjà l’été ! » Elle eut un petit pincement de cœur en se rappelant sa maison, ses parents, mais elle se souvint des paroles du maître dans son bureau très clair et se dit : « Puisque tu es dans la Grande Aventure, il faut que tu joues le jeu ! Alors avance, et ne regarde pas en arrière. »
Le vent soufflait maintenant, et le grondement des vagues emplissait un espace hors du temps…
Les mains étroitement unies, Morweena et les étudiants formèrent une chaîne devant le temple. La végétation s’était mêlée aux ruines, donnant au sanctuaire une atmosphère farouche et mystérieuse. Le seuil à peine franchi, tous devinrent silencieux. Un dernier rayon de soleil traversa la végétation, puis il s’évanouit. Morweena et ses compagnons se retrouvèrent couchés sur le sol, absolument incapables du moindre mouvement. La nuit était opaque. Morweena sentit un grouillement sur elle. Des plaintes commencèrent à se faire entendre. Et bientôt ce fut un vacarme indescriptible fait d’horribles gémissements, de grincements et de sons indéchiffrables dégageant une impression de chaos terrifiant. Morweena sentait la panique la gagner.
« Non, je ne veux pas ! » affirma-t-elle en elle-même. « Cela va passer. Reste calme et attends. Si tu te laisses envahir par la panique, tu es perdue. » Le calme se fit en elle par ondes de plus en plus vastes. Enfin, elle s’apaisa complètement, le bruit lui parut s’éloigner. Le grouillement avait cessé, la nuit s’écoulait lentement.
Le jour se leva dans une lumière splendide. Morweena jaillit sur ses pieds en même temps que ses compagnons. Un chant de joie éclata et rebondit contre les vieilles pierres. Il s’amplifia, emplit les ruines et les traversa jusqu’à l’océan sans rivage.
Cependant, barrant de leur lance le passage de la porte ouverte à deux battants, se trouvaient des gardiens en tenue de guerriers romains. Ils semblaient ne vouloir laisser sortir personne. Morweena s’avança. Elle se sentait animée d’une force toute neuve, et les regardait calmement dans les yeux. L’impression d’être née des rayons du soleil levant la remplissait d’une allégresse capable de tout irradier. Elle continua d’avancer en souriant. Quand elle fut près de les toucher, les gardiens s’écartèrent… Elle était libre !
Le paysage alentour avait changé. Les collines avaient disparu. « La vieille dame avait raison », pensa Morweena. « J’ai rencontré la Mort. Et maintenant, que dois-je faire ? »
Une source coulait non loin. La fillette se pencha au-dessus de l’eau. Elle regarda le reflet mouvant de son visage avec quelque surprise. « J’ai l’air d’une jeune fille à présent », murmura-t-elle à son image.
L’eau était captivante sous les rayons du soleil estival. La jeune fille s’y baigna, lava ses vêtements et, en attendant qu’ils sèchent, s’allongea sur une roche plate où elle s’assoupit, le cœur léger.
Il devait être près de midi quand elle s’éveilla, car autour d’elle il n’y avait presque plus d’ombre. Elle remit ses vêtements propres et dit à haute voix : « Me voici prête. En route ! »
Ne sachant vers où se diriger, Morweena suivit jusque dans la forêt le cours de la source devenue ruisseau. Son mince filet d’argent se laissait à peine deviner dans l’enchevêtrement des arbres et des buissons. Puis les bois s’éclaircirent, et Morweena trouva un layon qui longeait le ruisseau maintenant dégagé et rapide. Le chantonnement de l’eau sonnait clair sur les cailloux ; une lumière diffuse au travers du feuillage semblait annoncer quelque lointaine féerie.
Morweena, tendue, aux aguêts, poursuivait sa voie. Le sentier se faisait abrupt, parfois un frisson la parcourait de la tête aux pieds mais cette clarté au loin l’incitait à persévérer. Soudain, elle déboucha sur une trouée inondée de soleil. Et sous ce soleil s’étalait paresseusement un étang, immobile comme un miroir.
La jeune fille poussa un cri de joie. Derrière lui, un immense portail de bronze ouvragé défendait l’entrée d’un parc aux ombres bleues.
Il régnait au bord de l’étang une telle douceur de vivre que Morweena eut un instant envie de s’arrêter, de se reposer ; à la réflexion, elle préféra continuer. Le sentier contournait le plan d’eau ; aucun obstacle sérieux ne séparait plus Morweena du portail mais, s’étant refusé le plaisir de la pause, elle se refusa également celui de courir jusqu’à ce qu’elle avait recherché depuis combien de temps déjà ? Elle ne voulait pas arriver essoufflée à son rendez-vous car elle ne pouvait se défaire de l’impression insolite d’être attendue.
Alors qu’elle approchait du portail, un magnifique paon à la livrée bleue mêlée de vert s’avança l’entement vers elle, et l’accompagna jusqu’à l’entrée du parc. Il déployait sa longue queue aux plumes ocellées en un somptueux éventail, sans s’effarer le moins du monde de la présence de la jeune fille. Elle lui sourit ; était-ce un « gardien du seuil » ? Se transformerait-il soudain en dragon, ou en cheval de feu ?
Elle atteignit cependant le portail sans difficulté. Il était entièrement sculpté. Malheureusement il était impossible de tout discerner. Au centre se dessinait pourtant nettement la silhouette d’une salamandre dressée sur les pattes de devant, majestueuse et impassible au milieu de flammes de bronze mordoré. Morweena eut un petit rire et poussa le portail ; le battant grinça sur ses gonds et s’ouvrit sans effort.
La jeune fille pénétra dans un grand parc clos de hauts murs de pierre. Des arbres séculaires aux essences variées s’élançaient vers le ciel. Morweena marchait, silencieuse, attentive. Ses orteils s’enfonçaient dans un tapis de gazon. Des rosiers-tiges taillés en boule lui donnaient le sentiment de s’être projetée dans un tableau médiéval. Des primevères, des tulipes, émaillaient l’épaisse toison verte de l’or pâle de leurs corolles, du rouge sang, des profondeurs violettes de leurs pétales. Plus loin, la perspective s’enneigeait de milliers de perce-neige. N’y avait-il plus de saisons, était-ce un jardin d’éternité ? Une sensation de plénitude absolue semblait sourdre de la terre, de l’air. Un lièvre jaillit d’une touffe de lavande, trois écureuils bondirent de branche en branche, ce qui déclencha l’envol lourd d’un corbeau. Vers qui se dirigeaient-ils ainsi ?
Un vieux Tibétain, dont la longue barbe blanche allait s’affinant jusqu’aux pieds, venait à la rencontre de Morweena, les yeux plissés par le sourire, les mains cachées dans les larges manches de sa robe vieil or.
« Que viens-tu chercher ici ? » demanda-t-il d’une voix douce.
« Je voulais explorer », répondit Morweena d’une voix timide de toute petite fille. « Je voulais savoir de quoi je suis faite et pourquoi j’existe, et je me suis trouvée lancée dans la Grande Aventure. La découverte du Portail Secret faisait partie de ma quête. C’est pourquoi je suis là… »
«Si ma présence vous dérange, je peux repartir », ajouta-t-elle dans un murmure.
« Viens », lui dit le vieux Tibétain, en la prenant par la main. « Je savais que tu finirais par trouver ton chemin jusqu’ici. Tu peux explorer autant que tu le désires. Tu peux aussi me poser des questions. Si tu le veux, je t’apprendrai à voir et à comprendre. »
Dès les premiers jours, un fait intrigua Morweena. Elle en parla à son vieil ami :
- Depuis que j’ai suivi la salamandre, je n’ai eu besoin ni de manger ni de boire, comment cela se fait-il ?
- Tu es venue avec ton être intérieur, lui fut-il répondu. Ton imagination et ton désir de connaissance t’ont propulsée dans un monde différent de celui que vous appelez « Terre », mais ton corps y est encore. Rappelle-toi ce que le premier maître t’a dit au sujet du temps.
- Es-tu mon dernier maître ? demanda encore Morweena.
Le vieux visage parcheminé s’éclaira d’un sourire, et la promenade se poursuivit en silence. Morweena demeura dans le jardin aussi longtemps qu’elle le voulut. Elle acquit l’art de se concentrer, de méditer, de soigner, elle apprit aussi comment les êtres fonctionnaient selon les différentes octaves de la nature.
Un jour, la paix du jardin fut bouleversée par une pluie telle qu’elle gonfla le ruisseau et le transforma en un fleuve tumultueux. Les eaux du fleuve envahirent le parc. Le maître prit fermement Morweena par une main, tandis qu’un jeune homme surgi de nulle part lui saisissait l’autre main. Ils montèrent sur les vagues et, marchant sur l’eau comme sur un tapis roulant, ils sortirent du jardin.
Morweena se retrouva dans un paysage où des nappes de brume s’échevelaient par instants contre des sapins aux formes tourmentées. Le soleil filtrait doucement. Le vieil homme avait disparu. Le jeune homme marchait toujours, silencieux, auprès de Morweena. Il guidait ses pas dans les rochers et les ajoncs griffus de la lande dont un parfum subtil se dégageait. Le soir tombait. Ils arrivèrent sur un promontoire surplombant la mer.
Le vent soufflait et le grondement des vagues emplissait un espace hors du temps…
A présent, Morweena était seule. Elle s’assit dans l’herbe et regarda les étoiles s’allumer les unes après les autres. La nuit recouvrait la terre. Sous le clair de lune, les flammes blanches de l’écume éclairaient par instants les eaux. La jeune fille vit les étoiles devenir d’énormes boules de feu tourbillonnantes. Elle abaissa les yeux. Eblouie, elle eut un mouvement de recul. Les arbres, les buissons, l’herbe autour d’elle étaient animés de myriades de tourbillons lumineux. Ils jaillissaient à une vitesse inconcevable. Une forme humaine, encore plus rayonnante de lumière, la regardait. Aveuglée par cette splendeur, Morweena se cacha la figure entre les mains.
« N’aie pas peur, lui dit une voix musicale. Ouvre les yeux ! » Morweena se força à regarder. Elle vit les tourbillons lumineux tourner à des vitesses différentes et donner leur forme aux arbres, aux buissons, aux étoiles. La forme radieuse devint une femme aux longs cheveux, au visage d’une beauté extrême. Sa robe noire et blanche effleurait le sol en flammèches de ténèbres et de lumière.
« Tu as ta réponse », lui dit-elle. Nous sommes tous issus du même rayonnement, lettres différentes du grand alphabet de l’univers. Regarde le ciel. »
La jeune fille leva les yeux et vit une immense roue de feu qui tournait dans le ciel. Des signes ou des formes apparaissaient par intermittence ; elle ne pouvait les interpréter.
« C’est la roue de la vie », poursuivit l’être lumineux. Plus tu comprendras, plus l’univers sera éclairé par ta propre illumination. Va, maintenant… »
Morweena, émerveillée, descendit du promontoire. Elle eut la surprise de retrouver le jeune homme, il l’attendait. Une expression de joie illuminait son visage grave, ses yeux étaient aussi clairs que les étoiles. Il se mit à jouer de la bombarde. Elle éclata de rire. Ses jambes, possédées par le rythme de la terre, l’entraînaient dans une danse inconnue. Il lui semblait entendre en contre-chant la mélodie des arbres, du soleil et de la lune. Elle y percevait toute la joie du monde, elle en recevait aussi en coup de poing toute sa douleur, à son tour balayée par un chant d’amour qui déferlait en vagues immenses.
Ils arrivèrent ainsi au calvaire où l’avait guidée la salamandre. « A te revoir, ma mie, ma sœur… A bientôt… », dit le jeune homme. Morweena voulut le retenir, lui poser une question, il avait déjà disparu.
Elle était à nouveau une fillette. Un peu étourdie, elle s’appuya contre la pierre. Le granit était dur et granuleux sous sa main. L’horloge de l’église sonnait neuf heures. La fillette se mit à courir vers la maison. Ses parents devaient être levés maintenant, et sans doute le long et délicieux petit déjeuner du dimanche était-il prêt. Elle entendit sa mère l’appeler du fond du jardin. Oui, elle était bien de retour à la maison. « Je repartirai en quête », se promit-elle. « Oh oui ! La Grande Aventure ne fait que commencer. Le joueur de bombarde m’aidera, j’en suis sûre. » Et elle fit irruption dans la cuisine en riant.

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