RENCONTRES DU Nième TYPE
Conté par Waï-Da Witty

Deux âmes s’aimaient d’amour tendre.
Le jeune homme et la jeune fille se cherchèrent et ne se trouvèrent pas.
Ils revêtaient chaque soir leur corps de lumière la main dans la main.
Une dépêche de notre envoyée spéciale à Mexico illustre de façon éclatante la nécessité absolue d’une sérieuse formation mathématique si l’on veut réussir un atterrissage parfait dans une circonscription d’incarnation précise, et ainsi éviter les désagréments et les obstacles dus peut-être à une fâcheuse distraction ou à de la négligence dans l’apprentissage de cette science exacte.
Venons-en aux faits…
Deux âmes s’aimaient d’amour tendre, pourtant la félicité leur devenait monotone. « Si on s’incarnait ? » dit l’une. Il fut décidé qu’elle plongerait. Si elle ne revenait pas rapidement, l’autre suivrait. « Je serai un jeune homme », dit-elle, et plouf, sans réfléchir davantage, elle se jeta dans l’espace. L’autre s’ennuya ferme. Neuf mois plus tard, elle plongea à son tour. N’étant pas douée pour les mathématiques, elle calcula mal sa trajectoire et s’incarna aux antipodes.
Apprendre ses leçons, jouer, dire « Bonjour Madame », « Bonjour Monsieur, « Merci Madame », « Merci Monsieur », se battre et construire des cabanes, ça ne laisse pas beaucoup de temps pour penser à son âme sœur. Mais un jour, quand on se réveille jeune homme, jeune fille, voici les souvenirs confus qui à leur tour s’éveillent. Le jeune homme et la jeune fille se cherchèrent et ne se trouvèrent pas, alors ils se mirent à rêver.
Le jour, ils ressemblaient à tout le monde ; ils travaillaient, s’étaient mariés, avaient des enfants, se faisaient du souci et vieillissaient. La nuit, ils rêvaient. Après bien des cauchemars d’errance désespérée, ils avaient fini par se rencontrer l’espace d’un instant de nuit commune. Depuis lors, ils revêtaient chaque soir leur corps de lumière et la main dans la main, ils exploraient le monde au fil de fractions de seconde étirées par le rêve.
Les temples du Tibet, le pays des colibris, la grande pyramide… « Te rappelles-tu, il y a de cela quelques millénaires, quand je t’ai vue pour la première fois… Tu portais une tunique blanche et j’ai su que je t’aimerais toujours… »
Et voici l’âge de la retraite. M. Dupont prend l’avion en charter ; il va visiter le Mexique, une fantaisie qui lui tient à cœur depuis bien longtemps, il ne sait pourquoi. A Mexico, douane, valise, taxi. Et M. Dupont parle, parle dans le taxi, il parle de son rêve mexicain. Le chauffeur est un brave homme. « Venez à la maison, vous connaîtrez le vrai Mexique », lui dit-il. Il parle mieux le français que son client ne baragouine l’espagnol.
Dans sa cuisine s’affaire Mme Popocatepetl. Son fils lui présente M. Dupont. Etonnés, M. Dupont et Mme Popocatepetl se regardent, se regardent et se regardent encore. A travers le vieux M. Dupont, Mme Popocatepetl reconnaît son frère de lumière ; à travers la vieille dame, M. Dupont reconnaît sa sœur de lumière.
Ils éclatent de rire, s’embrassent ; c’est la fête, les retrouvailles. Tous les voisins alertés rient et boivent abondamment. D’un air espiègle, sur la pointe des pieds, les deux âmes sœurs se tenant par la main s’envolent par-dessus les toits, deux étoiles filantes dans le ciel d’été.
Tout est bien qui finit bien, direz-vous. Peut-être. Mais certainement pas du point de vue de notre société qui ne saurait tolérer des fantaisies aussi échevelées. En effet, un pays voisin du Mexique aurait porté plainte ce matin auprès des instances internationales pour violation de son espace aérien par deux objets volants non identifiés apparemment en provenance de la frontière mexicaine.

Ce récit vous a plu !
Vous souhaitez partager votre ressenti !
N’hésitez pas à laisser un commentaire.