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Chamanes

Chamanes

Conté par Waï-Da Witty

Chez les Amérindiens, le loup est le totem de celui qui enseigne.

Dans un poème, Jamie et David, eux-mêmes indiens d’Amérique, l’invoquent ainsi :

 

Loup…

        Toi qui enseignes

                  Découvreur de chemin

                           Chien lunaire de mon âme

Hurle,

          Chante,

                     Enseigne comment connaître.

      Ici, il ne s’agira pas d’Indiens, mais nous allons plonger dans un monde parallèle où des hommes-loups vivent encore d’une manière assez proche de celle des Amérindiens, ou d’autres peuples de jadis dans notre monde.

      Imaginez un groupe de petites maisons rondes d’argile jaune, bâties sur une terre aux différentes nuances d’ocre jaune. Des montagnes bleutées à l’horizon. Nous sommes sur un plateau balayé par le vent. A l’ouest, une sombre forêt lui oppose ses arbres séculaires.

      Dans l’une des maisons, un petit garçon au teint d’or cuivré et aux longs cheveux bleus nuit, lève la tête vers un homme, les yeux grands ouverts. Farenne a sept ans aujourd’hui et il regarde avec admiration son père dont le torse nu est entièrement orné de tatouages.

      L’homme-loup est le chamane du village et il vient de lui annoncer qu’il doit passer sa première initiation. Il le revêt d’une tunique d’écorce de balouba jaune. Elle lui gratte la peau.

      Maintenant ils sont dans une clairière. Il reçoit son premier tatouage. Ca pique ! Il ne faut pas pleurer pour autant. On lui fait boire un breuvage un peu amer. Il entend des chants monocordes. Des volutes de fumée l’entourent. C’est pour te purifier, lui a expliqué son père. Mais ce que lui sait pour l’instant, c’est qu’il a la nausée et que la tête lui tourne.

      Soudain il voit s’élever la forme puissante d’une belle femme qui le regarde comme si elle voyait à l’intérieur de lui, à l’intérieur de ses pensées, de ses sentiments. Il se sent transparent pour elle. Grave et bienveillante à la fois elle finit par s’adresser à lui :

« Mon fils, je suis ta mère la Terre. N’aie pas peur. »

      D’une beauté éblouissante, une déité ruisselant d’une onde claire, apparaît à ses côtés. D’une voix de jouvencelle, elle dit à l’enfant : « Ecoute ma sœur, toi qui appartiens à la lignée des Nevermore, écoute moi. » Et la mère Terre reprend : « Chacune de nous va te donner un mot d’appel. Ecoute bien. Et quand mes enfants, tous les êtres de ce monde, seront en danger, appelle-nous, nous viendrons vous secourir. »

      La voix chaude et grave de la terre lui dépose au creux de l’oreille son mot d’appel. La voix fraîche et cristalline de l’eau lui dépose au creux de l’autre oreille son mot d’appel. « N’oublie pas », l’enjoignent-elles de concert, « n’oublie pas ». La fumée de l’encens… la stridence du crigon… Des lumières arc-en-ciel envahissent tout…

      Plus tard, sa mère lui dit qu’il s’était évanoui, mais qu’il avait réussi sa première initiation. De ses mains douces, elle lui caresse son front douloureux, ses tempes… Elle l’enveloppe de sa tendresse, et lui chante un chant très doux…

      Le temps passe. Et aujourd’hui, Farenne va avoir onze ans quand le soleil sera au mitan du ciel. Il est fier d’avoir été choisi dans sa fratrie pour devenir chamane. Il se prépare à sa deuxième initiation.

      Sa chevelure tressée et enduite d’argile rouge lui fait une auréole barbare autour de la tête. Sur son torse nu, on dessine de nombreux tatouages. Il serre les dents. La complexité des dessins engendre de la douleur. Pas question de gémir. N’est-il pas presque un homme ?

      Maintenant on le mène au centre de la clairière qu’il a connue quatre ans auparavant. Cette fois, un grand feu éclaire la nuit. Farenne doit le traverser. Heureusement, son échec éventuel ne risque pas d’entraîner son déshonneur ou celui de sa famille : son épreuve, au pire la perte de sa vie, seront alors considérées comme une marque de courage et une offrande à la déité du feu.

      Le jeune garçon se concentre. Il pense à tout ce qu’on lui a enseigné. Toute son attention se focalise sur chaque particule du feu intérieur qui empêche le corps de se figer dans la glaciation. Il devient danse d’étincelles et s’avance avec respect mais sans peur vers le brasier. Son corps d’étincelles tourbillonnantes traverse les flammes alors que, dans un grondement, la déité du feu lui transmet le mot d’appel.

      Les grains de sable s’écoulent dans le sablier du temps. L’une après l’autre, une lune succède à une autre lune, inlassablement.

      En ce jour de l’année du Dragon Jaune, Farenne vient d’avoir quatorze ans. Il est monté au sommet de la montagne balayée par les bourrasques. Debout, fièrement campé, son regard levé vers la pleine lune et les bras écartés, il offre au vent qui le cingle son torse nu entièrement recouvert de tatouages. Et il écoute longuement. Puis il répond au chant du vent. Quand il se tait au bout d’un temps indéfini, un souffle plus doux vient le caresser en laissant dans ses oreilles l’empreinte du mot d’appel.

      Il est près de tomber d’épuisement quand il sent des mains fermes le porter et le coucher dans une fosse creusée dans la terre froide. A présent de fines branches et un épais feuillage recouvrent entièrement la fosse. Il entend la voix d’un homme-loup : « Au matin, l’enfant sera mort » Une autre voix murmure : « Un nouveau chamane, sera peut-être né. » Les pas s’éloignent. Il est seul. L’obscurité est dense dans la fosse. La couverture végétale ne laisse même pas deviner les étoiles. Le jeune garçon sent monter l’angoisse à partir du ventre.

      Des bruits furtifs, des cris d’animaux qui chassent ou qui agonisent l’entourent. Un grouillement assaille son corps et l’emplit de terreur. Il a du mal à respirer. Dans un sursaut vital, il se souvient et s’écrie :
« Mère Terre, Déités de l’Eau, du Feu et du Vent, si je dois mourir à présent à quoi tout cela aura-t-il servi ?! Mourir sans même avoir effleuré ce pourquoi j’ai été initié et formé, au long de tant d’années ? »

      Et il prononce les mots d’appel. Des tourbillons de lumière arc-en-ciel lui apparaissent, ils s’étendent et rayonnent, effaçant la fosse. Ils pénètrent en son coeur, et se répandent à l’infini, vagues de sons et de luminosité. Dans l’immensité, Farenne n’est plus que lumière. Les herbes couchées, les arbres, toutes les apparences et tous les êtres ne sont plus que lumière. Et Farenne les ressent tous, du plus petit au plus grand, formes ondoyantes se traversant, fulgurances, danse inconcevable de l’espace et de la lumière.

      A l’aube le chant des oiseaux et la morsure du froid plus intense le réveillent. Il ressent une allégresse inouïe et a tôt fait de se débarrasser de sa couverture de branchages pour bondir hors de la fosse dans le jour naissant. Il éclate de rire et salue le soleil levant. Son bonheur est à son comble. Il comprend à présent les paroles de l’homme-loup. Le voici chamane ! Il a encore beaucoup à apprendre, il le sait. Néanmoins il est chamane ! Il pousse un long hurlement qu’il voudrait entendre embrasser l’infinité des galaxies. Une réponse ténue lui vient, comme d’un espace intersidéral. Puis d’autres et d’autres encore…

      Le soleil est maintenant haut dans le ciel. Et voici un tout jeune chamane, porteur d’une nouvelle vie. Il dévale la montagne pour apporter au monde le chant de l’arc-en-ciel, et la vision de la danse des êtres dans leurs corps de lumière, de la danse illuminée de tout ce qui est, des retrouvailles hors du temps…

 

Om mani padmé hung hrîh

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