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LE FRAGMENT D’ETERNITE

LE FRAGMENT D’ETERNITE

Conté par Waï-Da Witty

Amaya s’est mis en tête de trouver quelque chose d’indestructible, Silvère participe à ses recherches.« Les arbres, les animaux, les hommes naissent et meurent », dit Amaya.

Silvère suggère : « Peut-être les coquillages… »

          « Efflamine est arrivée on ne sait d’où, une nuit, au solstice d’été. Laouig le Simple courait devant elle en hurlant qu’il l’avait vue sortir de l’œuf du dragon. Elle marchait si légèrement sur le chemin qu’elle semblait flotter… »

         « Est-ce vrai, est-ce faux tout cela ? Toujours est-il que depuis lors, le rocher de granit rose ovale comme un œuf, gît, ouvert en deux, au cœur du bois de sapins d’où est apparue Efflamine pour la première fois. Nul n’a pu en savoir davantage. Elle s’installa dans une cabane abandonnée et ne dérangea personne. »

         « Certains pêcheurs chuchotent qu’une nuit de tempête où ils étaient plongés dans les ténèbres alors qu’ils approchaient des récifs meurtriers de la côte, un chant indéfinissable leur avait rendu courage, une grande clarté avait métamorphosé en phare la cabane au sommet de la falaise. »

          Amaya et Silvère écoutent leur grand-mère relater un conte. En est-ce vraiment un ? Ils ont aperçu ce matin au plus touffu de la lande une dame, très belle. Sa démarche aérienne ne dérangeait pas la moindre pâquerette. Elle leur a souri, ils en sont encore éblouis. C’est à leurs questions à son sujet que leur Grand-mère répond de cette étrange façon.
Les jours passent… Il fait bon être en vacances. Dès le petit déjeuner terminé, Silvère et Amaya partent en courant vers la plage. Depuis leur rencontre avec la Dame de la Lande, les jeux de la mer et du sable les amusent moins cependant.

        Amaya s’est mis en tête de trouver quelque chose d’indestructible, Silvère participe à ses recherches.
       « Les arbres, les animaux, les hommes naissent et meurent », dit Amaya.
       Silvère suggère : « Peut-être les coquillages… »

        Il y en a de très beaux dans le sable, mais juste à côté gisent épars, des morceaux de coquilles balayés par les vagues. Amaya s’obstine : « Pourtant il doit bien y avoir quelque part quelque chose d’extraordinaire qui existe toujours… un fragment d’éternité… »
« J’ai une idée ! » s’exclame Silvère. Si nous demandions à Mamie de nous laisser partir camper une semaine ? En explorant les plages et les bois du coin, peut-être trouverons-nous des indications intéressantes. Peut-être même rencontrerons-nous la Dame de la Lande ? Je suis sûr qu’elle pourrait nous renseigner. »
« C’est cool ! » répond Amaya, d’habitude avare de compliments pour son jeune frère.

        Ce soir-là, Silvère tente de charmer sa grand-mère et lui expose leur projet avec beaucoup de diplomatie. Elle se fait un peu tirer l’oreille, puis finit par céder.

       « Mais à condition », ajoute-t-elle, de me promettre d’être très prudents, de ne pas parler ou suivre des inconnus, de ne pas faire de l’auto-stop et de ne pas dépasser une distance d’une journée de marche de la maison. »
      Tous deux se hâtent de promettre. Pendant plusieurs jours ils préparent scrupuleusement leur itinéraire. Ils ont d’abord cherché sur internet, et puis finalement ils ont trouvé dans la petite librairie où ils aiment bien fouiner un vieux plan des alentours sur lequel sont indiqués les bois, les monuments mégalithiques, les plages et les landes. Avec l’espoir d’y découvrir quelque indice pouvant les aiguiller dans leur recherche, ils lisent aussi attentivement un gros livre à la couverture noire qui renferme d’anciennes légendes de la région.

        S’estimant enfin prêts, un beau matin Amaya et Silvère enfilent chacun son sac à dos et embrassent leur grand-mère sur le pas de la porte. Plutôt anxieuse, elle les submerge de recommandations et leur rappelle de rentrer à la fin de la semaine.
         Les voici partis en quête de cette chose éternelle. Ils emportent une tente, des provisions, de la ficelle, un canif, une boussole et deux ou trois bricoles auxquelles ils sont attachés.
       Leur premier objectif est une petite plage abritée car, en amont de la plage se trouve un dolmen, « une maison de korrigans » comme disent certains par ici. « Korrigan », éternité, ne serait-ce pas voisin après tout ? Ils l’atteignent en début d’après-midi et décident de se reposer un peu avant d’entreprendre des recherches.

          A la tombée de la nuit, le frère et la soeur parviennent dans ce qu’ils croient être un bois facile à traverser.
            Il se révèle être une forêt touffue où ils ne tardent pas à se perdre, malgré leur boussole. Un peu inquiets, ils finissent par percevoir une lumière au loin, ce qui les rassure. Amaya et Silvère se dirigent vers elle et débouchent bientôt dans une clairière. Des hommes et des femmes, hérissés d’armes, revêtus uniformément d’une sorte de carapace métallique, y font rôtir des biches et des cerfs sur d’énormes feux de bois. L’alcool déborde des quarts. L’odeur de viande grillée, les cris et les rires tonitruants se répandent dans la forêt obscure.
            Silvère et sa sœur n’ont pas le temps de réfléchir sur l’attitude à adopter. On les a vus. Ils sont immédiatement accueillis de façon assez déroutante. On les pousse, on les tire, on les bouscule. Les manières sont bourrues mais non dépourvues de chaleur. Après leur avoir offert de la viande bien saignante, des hommes veulent s’amuser à les faire boire de force, et marmonnent qu’ils pourront les prendre pour esclaves en attendant d’obtenir des prisonniers de guerre. Silvère plonge son regard dans celui d’Amaya. Tous deux cachent habilement leur peur et, feignant de jouer, réussissent à se dissimuler dans un immense chêne creux où les ténèbres les engloutissent.
            Peu à peu leurs yeux s’habituent à l’obscurité. Ils discernent, taillées dans le bois, des marches à l’aspect antique.
            N’ayant pas le choix, ils commencent à grimper vers l’inconnu, une torche électrique brandie en avant. Au bout d’un certain temps, ils voient apparaître une lueur tout là-haut. Silvère se retourne soudain pour regarder en arrière, et se retrouve coincé dans l’étroit boyau. Amaya réussit à le libérer en vidant partiellement son sac à dos. Leur ascension se poursuit dans un silence ponctué par le halètement de leur respiration qui devient difficile, quand des bribes d’accords parviennent à leurs oreilles.

            Ils émergent presque aussitôt dans une ville animée dont les habitants semblent tous se diriger vers le même lieu. Amaya et Silvère les suivent. Ils arrivent sur une vaste place où des jeunes gens et des jeunes filles dansent en effleurant à peine le sol. Plus loin déclament des orateurs ; autour de chacun d’eux, des groupes d’auditeurs se sont assemblés. Ailleurs, des danseurs en herbe s’essayent à leurs premiers pas avec une gracieuse gaucherie. Parfois ils trébuchent et leurs rires s’égrènent dans un espace irisé. S’agirait-il d’une fête ?

            Amaya et Silvère déambulent à droite, à gauche, et finissent par s’asseoir sur un banc. Ils font l’inventaire de leurs provisions et se préparent des casse-croûte. Leur faim apaisée, ils vont boire à la fontaine qui chante inlassablement au centre de la place. Raconte-t-elle le bleu de la grotte d’où jaillit sa source, ou bien son rêve de fusion avec le fleuve intangible ? Une jeune fille passe devant eux, aérienne. Elle leur sourit, les prend par la main et les voici à nouveau devant les danseurs.

            Amaya remarque un spectateur un peu bizarre. Mais tout n’est-il pas quelque peu insolite sur cette place ? Il a de longs cheveux blancs, des yeux rieurs et un manteau à rayures multicolores. Se sentant observé par les enfants, il s’adresse à eux d’une voix chaude et accueillante :
            « Fillette et garçon aventureux, que la lumière du jour vous bénisse ! Vous paraissez étrangers ici. Avez-vous besoin de quelque chose ou bien d’un guide ? »
            « Bonjour Monsieur », répond Silvère, très à l’aise. « Y a-t-il quelque chose d’absolument indestructible, d’éternel dans ce pays ? C’est ce que nous cherchons. »
            La question a l’air d’amuser le vieil homme, mais il réplique :
            « Suivez-moi, je connais une personne qui, peut-être, pourra vous renseigner. Faisons ample provision d’eau car nous devrons emprunter la piste qui traverse l’Océan des Sables. »

            En effet, la porte de la ville en fête franchie, les enfants ont la surprise de trouver le désert. Où sont-ils donc ? Un espace sans fin s’étend devant eux. Le sable est d’une finesse presque irréelle.
            « C’est magnifique », s’écrie Amaya. « Je n’ai jamais eu une telle impression de liberté ! Je voudrais me transformer en Esprit de l’Air. Ceci est mon royaume ! »
            Ses yeux scintillent, ses longs cheveux noirs agités par le vent lui font une cape de princesse bédouine.
            « Je trouve que ça manque d’arbres », rétorque Silvère d’un ton boudeur.
            Sous le soleil éclatant, ses cheveux paraissent d’or fin.
           Le vieil homme rit, puis demande d’un air grave :
           « Fille du Soleil et Fils de la Brume, unis dans une même quête, désirez-vous poursuivre votre recherche ? »
          « Bien sûr ! » affirment en chœur Amaya et Silvère.

          Très vite, ils ont pris la démarche lente et rythmée qu’impose le désert. Le temps s’écoule, inexorable, infini, dans le silence. Le vent les pousse. Les dunes succèdent aux dunes.

         « Plus vite », les presse le vieil homme. « Une tempête se prépare. Je connais une oasis. Il faut y arriver avant que le khamsin[1]ne se déchaîne. »
         Ils courent lentement, comme dans un cauchemar. Maintenant le vent siffle des menaces à leurs oreilles. Ils voient l’oasis, telle une émeraude taillée en creux. Dans le fond brille le saphir du plus beau des lacs.

[1] Tempête de sable en Egypte

       Des nomades les accueillent, leur offrent le thé à la menthe et des petits gâteaux dodus et sucrés. Silvère et Amaya, exténués, sont heureux. La tempête de sable éclate soudain. Aplatis à terre, ils ne voient pas à plus d’un mètre. Des étincelles jaillissent des pierres choquées les unes contre les autres. Les palmiers se cambrent violemment. Leurs palmes s’inversent en chevelure folle ; ils semblent sur le point de s’arracher du sol. Soudain tout est rouge. Une opacité pourpre empêche la lumière du soleil de passer. Tombe l’obscurité. Un cri déchirant de femme : « C’est la fin du monde ! »
       Le vieil homme explique : « Le vent arrive des montagnes rouges d’Ethiopie, de l’autre côté du désert. Il transporte des particules de terre. »

       Les particules de sable et de terre sont partout, dans les yeux, entre les dents, sous les vêtements, incrustées dans la peau. Le hennissement des chevaux terrifiés, le blatèrement des chameaux se mêlent aux hurlements du vent en délire. Un bébé pleure, et c’est l’angoisse.
       La tempête dure trois jours et trois nuits. Après la folie des premières heures, la vie s’est organisée. Au matin du quatrième jour, tout est rentré dans l’ordre. La tempête s’est éloignée. Les nomades font leurs adieux. Ils partent vers la Ville-en-Fête. Les ballots de marchandises sont déjà sur les chameaux. Des sourires, des mains qui s’agitent, des cris, des rires, un nuage de sable, ils sont partis.

       La paix est sur l’oasis, parfois ponctuée de querelles d’oiseaux. Amaya et Silvère se baignent dans le lac, mangent des dattes et des grenades. Le vieil homme rêve souvent. Parfois il sort une flûte de Pan de son ample vêtement multicolore. Il enseigne à Silvère comment en jouer. Cela enchante le jeune garçon et bientôt il remarque qu’au fur et à mesure de ses progrès, les animaux s’approchent de plus en plus. Maintenant il en joue des heures durant… l’inspiration vient à lui, facile. Les yeux fermés, il l’écoute se dérouler de son esprit jusqu’à l’extrémité de ses doigts.
       Et Amaya ? Petit à petit Amaya devient fébrile. Il lui manque quelque chose d’important, lui semble-t-il. Elle explore l’oasis du nord au sud, de l’ouest à l’est. Une nuit très claire, elle se promène en regardant les étoiles. Elle découvre les restes d’un temple égyptien dont les colonnes s’élèvent vers le ciel. A l’intérieur, sur un pan de mur, Isis, la déesse, paraît sourire à Amaya en lui tendant une clé de vie[1].
       « La clé de la vie éternelle… »
       Amaya sursaute. Elle ne se demande même pas d’où vient ce murmure. D’elle-même ? D’ailleurs ? Tout à coup elle se souvient de leur quête. Mais oui, ils cherchaient un fragment d’éternité. Ils devaient même rencontrer quelqu’un.
         Elle retourne sur ses pas en courant et secoue Silvère, endormi. Le vieil homme, éveillé, a déjà tout compris.

        Ils ne tardent pas à se mettre en route. Le ciel est semé d’étoiles, la lune est presque à son plein. Les enfants marchent vite et en silence. Ils ont l’impression d’avoir perdu un temps précieux et se hâtent pour rencontrer cette personne mystérieuse. Pendant leur séjour dans l’oasis, n’aura-t-elle pas quitté l’endroit où le vieil homme pensait la trouver ?
        D’après lui, la portion de désert qu’il leur reste à traverser n’est pas bien grande. Il est midi cependant, et ils n’en sont pas encore sortis. Arrivés dans une palmeraie, ils en profitent pour se rafraîchir et se nourrir. Silvère et Amaya veulent s’engager à nouveau dans les sentiers vibrants de chaleur.
         « L’ardeur du soleil est trop forte pour vous », dit le vieil homme. « C’est votre premier voyage de cette sorte. Si vous allez trop vite, vous risquez d’être aveuglés ».
        Le jeune garçon et la jeune fille comprennent que leur guide n’a sans doute pas tort. Ils s’étendent pour une sieste entrecoupée de cauchemars où les guerriers du début de leur aventure essayent de les retenir, alors que les danseurs tentent de les entraîner vers des mondes lumineux.

[1] ankh ou croix ansée égyptienne

       Enfin, c’est l’heure de repartir. Le crépuscule fond sur les voyageurs, rapide comme toujours sous certaines latitudes. Le désert est derrière eux. Ils se trouvent dans une région accidentée et verdoyante. A présent le vieil homme semble ragaillardi et marche devant. Arrivés sur une hauteur, ils voient brûler un feu. Ils cherchent leur ami, il n’est plus là. Mais une femme les accueille en souriant. Un parfum de résine l’accompagne.

       « Efflamine », murmure Amaya.
       « Puissent les rayons de la lune permettre de tisser l’échelle qui va de la terre au ciel ! » dit la Dame en guise de salut. Sa voix est très belle. « Que cherchez-vous, jeunes humains à l’esprit aventureux ? »
       « Un fragment d’éternité », répondent Amaya et Silvère. Ils sont graves et résolus.
       « Je ne peux vous donner un fragment d’éternité. Je veux vous aider cependant. Vous pourrez peut-être le trouver de l’autre côté de ces rochers. »
       La fille et le garçon scrutent le paysage nocturne. Les pierres ont des reflets d’argent sous la lune qui brille d’un éclat inusité dans le ciel palpitant d’étoiles. Malgré la clarté de la nuit, ils ne voient pas comment atteindre ces rochers.
       « Vous ne pourrez y aller chargés comme vous l’êtes », reprend la Dame. Débarrassez-vous de votre bagage. Puis il faudra sauter par-dessus le feu. Alors vous trouverez le sentier qui mène au pays où il se peut que vous découvriez le fragment. Si vous le voulez vraiment, ayez confiance, je vous aiderai. Je sauterai avec vous. Vous pouvez réfléchir aussi longtemps que vous le désirez. Cependant, quand vous aurez décidé de votre action, il serait dangereux de revenir sur votre décision.
       Le frère et la sœur se consultent du regard, puis d’un commun accord déposent leurs sacs sur le sol. Et Amaya étant l’aînée, déclare, la gorge un peu nouée :
       « Bon, je passe devant. »
       Efflamine sourit. La jeune fille lui donne la main et, retenant sa respiration, prend son élan pour un grand saut. Elle a le sentiment de voler, le feu lui paraît illusoire ; la voici déjà de l’autre côté, au début d’un sentier.
       C’est au tour de Silvère. Un bond immense dans un espace inconnu… il a rejoint Amaya.

       Efflamine a disparu. Le soleil se lève. Les oiseaux chantent à tue-tête. Les enfants ont un peu faim et ne savent pas s’ils ne vont pas regretter d’avoir abandonné leur bagage.
       « De toutes façons », dit Silvère, il le fallait bien pour gagner notre droit de passage. Et puis, c’est l’aventure, quoi ! »
       « Tiens, tu entends ce bruit », dit Amaya. « On dirait de l’eau qui coule. C’est peut-être un ruisseau. Allons voir. »
       « Regarde, Amaya ! Des fraises des bois ! »
Ils s’en régalent. Jamais ils n’en ont mangé autant !

       Puis ils se dirigent vers la rivière. Il s’agit en fait d’un grand fleuve. Quel fleuve, ils n’en savent rien. D’ailleurs, depuis leur mauvaise rencontre dans la forêt ils n’ont pas pu suivre l’itinéraire qu’ils s’étaient tracé avant de partir de chez leur grand-mère, et ils ignorent comment ils vont rentrer avant qu’elle ne s’inquiète.
       « Suivons le cours du fleuve », dit Silvère. Nous arriverons bien à un village où l’on pourra nous indiquer le chemin du retour !
       Ils marchent rapidement, anxieux.

       Et voilà que les branches des arbres s’écartent légèrement sur leur passage, le murmure du vent dans le feuillage se fait rassurant.
       Il leur semble comprendre sans paroles, d’une façon différente, les sons, les mouvements des plantes, de l’eau. Des animaux s’approchent doucement. Une biche et son faon les accompagnent à peu de distance. Des oiseaux leur effleurent les cheveux.
Surpris d’abord, joyeux ensuite, Amaya et Silvère se regardent en riant silencieusement de crainte d’effaroucher leurs compagnons de route. Tout en marchant, ils scrutent attentivement les alentours. Efflamine n’a-t-elle pas affirmé qu’ils découvriraient peut-être le fragment d’éternité dans ce pays ?

       Après plusieurs heures d’errance, la fatigue aidant ils se sentent un tant soit peu découragés, car ils ont beau chercher ils ne voient rien qui ressemble à un fragment d’éternité.
Mais à quoi donc peut ressembler un fragment d’éternité ? Ils commencent à se le demander. Ils se demandent aussi par moments si tout cela a servi à quelque chose. Pourquoi avoir cherché ? Trouveront-ils jamais ?
       « Depuis combien de temps marchons-nous ? »
      « Je n’en sais rien ».
Ils ont mangé des fruits, bu de l’eau du fleuve, dormi à l’abri de chênes immenses sans rencontrer personne. Où sont-ils ? Quand vont-ils arriver ? Combien de jours sont passés ?

       Et voici qu’un matin ils débouchent sur une plage. Le fleuve se jette dans la mer. Dans le lointain on voit un petit port dont les maisons blanches aux toits gris scintillent sous le soleil matinal. Mais, on dirait bien que c’est le petit port où ils passent leurs vacances. Enfin ! Fous de joie, Amaya et Silvère courent sur la plage en poussant des cris d’Indiens déchaînés.
       « Oh », s’exclame Amaya. « Nous n’avons rien rapporté à Mamie. Elle aura peut-être de la peine. »
       « Ne t’inquiète donc pas », répond Silvère. « Il a l’air d’y avoir de très belles coquilles Saint-Jacques par ici. Si on en trouve une assez grosse, elle pourra lui servir de porte-savon. Elle sera ravie : elle oublie toujours d’en acheter pour la salle de bains, et quand viennent des invités elle se trouve embarrassée. »

       Amaya regarde à ses pieds et, dans le sable, parmi les coquillages, elle voit de beaux cailloux d’une blancheur éclatante, parfaitement arrondis par la mer.
       « Mais c’est ça que je cherchais ! » dit-elle tout bas.
       Silvère examine des coquillages, accroupi dans le sable. Etonné, il lève les yeux et reste bouche bée : Efflamine est là, à côté d’Amaya.
       « Oui », murmure-t-elle de sa voix mélodieuse, « les cailloux roulés par la mer sont parmi ce qui existe de plus vieux sur cette planète. »
          Elle prend dans chacune de ses mains un petit caillou tout rond qu’elle donne à Silvère et Amaya, elle aussi clouée sur place de surprise.
            Efflamine poursuit :
            « Ces cailloux ronds ont sans doute des millénaires. Peut-être dureront-ils encore des millénaires sous forme de cailloux de plus en plus petits, puis de sable, puis de fragments infiniment petits, invisibles aux yeux, « fondus » dans l’océan. C’est cela l’image de l’éternité, transformation éternelle, vie, création sans fin ni commencement, au-delà du temps. Et ces petits cailloux, ces minuscules grains de sable, ont leur importance dans l’univers. Ils existent, s’ils n’existaient pas l’univers ne serait pas tout à fait le même.
      « Vous avez découvert une image de l’éternité, non l’éternité, car on ne peut toucher l’éternité. L’important c’est que vous l’ayez cherchée, et que vous ayez eu l’obstination et le courage nécessaires au long voyage que vous avez entrepris.

       « Bon courage et belle aventure vers la connaissance de tout ce qui est… Vous avez déjà fait les premiers pas… »

       Sur ces paroles, Efflamine disparaît.

       Amaya et Silvère s’étirent sur le sable. Ils ont bien dormi et se sentent d’attaque. A côté d’eux, il y a leurs sacs à dos gonflés de tout ce qu’ils y ont mis avant leur départ. La carte de la région est soigneusement posée sur le sable, retenue par deux galets, et la plage où ils sont y figure, marquée d’une croix, premier objectif de leur itinéraire.

       « Ca alors ! » s’exclame la jeune fille.
       « Mais je n’ai tout de même pas rêvé », s’écrie Silvère.
Amaya ouvre la main et dit :
       « J’ai bien un caillou dans la main, et toi ?
       « Moi aussi ! »
       « Bon, on va rentrer chez Mamie, on verra bien ce qui s’est passé. »
Le jeune garçon regarde sa montre et fait remarquer qu’il est tôt dans l’après-midi, et qu’il a faim.

       « Si on cassait une croûte avant de rentrer ? »
       « D’accord, moi aussi j’ai faim ! »
Tout en mangeant, ils échangent leurs impressions de voyage.
       « Ecoute », dit Amaya, « si nous avions rêvé nous n’aurions pas fait le même rêve. Mais tout était bizarre dans notre voyage, c’est sans doute pour cela que nous nous retrouvons ici comme si nous venions de quitter la maison. Je me demande combien de jours nous sommes restés absents. »
       « Dépêchons-nous de rentrer », conclut Silvère. « Peut-être Mamie se fait-elle du souci à notre sujet. »

       Quand ils arrivent devant le jardin de la maison embaumant sous une avalanche de rosiers grimpants, leur grand-mère est en train d’arroser les fleurs.
       « Tiens, vous voici déjà de retour ! » s’étonne-t-elle. « Avez-vous oublié quelque chose ? Ce matin j’ai pourtant bien vérifié que rien ne manquait dans vos sacs. »
       « Non non, Mamie, tout va bien », dit Amaya d’une petite voix.
       « La journée a été longue », intervient Silvère, l’air malicieux. Mamie, absorbée par son arrosage, ne remarque rien.
       « Alors, allez faire votre toilette. J’ai déjà dîné. Je vais vous préparer une bonne omelette. Justement ce soir Mme Le Parc m’a apporté des œufs frais de la ferme. »
       « On n’a pas très faim, tu sais », dit Silvère. Nous avons mangé une partie de nos provisions. Mais regarde ce beau coquillage, nous avons pensé qu’il pourrait te servir de porte-savon. »
Et Mamie sourit comme s’ils lui avaient offert le plus beau des trésors.

       Amaya et Silvère ne se font pas prier pour aller au lit ce soir-là. Ils semblent avoir beaucoup de choses à se raconter. En passant devant la porte de leur chambre restée ouverte, leur grand-mère qui monte se coucher à l’étage a la surprise d’entendre Amaya dire dans un demi-sommeil :
       « Ce n’est qu’un début… »
et Silvère lui répondre :
       « Il reste l’éternité à parcourir.»

       Souvent les grand-mères écoutent sans s’étonner bruyamment et sans poser de questions oiseuses. Elle sourit doucement et entre tirer doucement les rideaux. Le frère et la soeur se sont endormis. Leurs mains s’ouvrent. Chacun d’eux a un caillou blanc. Mamie prend délicatement les deux cailloux qu’elle dépose sur l’étagère aux bibelots. Puis elle sort après avoir éteint la lumière.

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