
On raconte que sur un haut plateau quelque part dans notre monde, on peut encore, si l’on a beaucoup de chance, découvrir un arbre splendide et la source limpide qui fait un avec lui…
C’était il y a longtemps, très longtemps, peut-être au bout d’un temps aujourd’hui oublié où les êtres humains, la terre, l’eau et le vent, le bois, le feu et les animaux se parlaient encore…
Dans un lointain village vivait une jeune fille. Très belle, nombreux étaient ceux qui la désiraient pour compagne. A chacune de leurs déclarations enflammées, elle haussait les épaules. Ce qu’elle aimait, c’était faire la course avec le vent. Elle rassemblait même sa longue chevelure en une tresse unique et serrée : coiffés ainsi, ses cheveux ne lui faisaient pas perdre de la vitesse en l’aveuglant et s’emmêlant. Chaque fois que s’annonçait l’arrivée d’un vent fort, elle sortait, pleine de vivacité, et bondissait dans l’espace alors que ses voisins s’enfermaient dans leurs maisons, portes et volets bien clos.
Pourtant la région n’était visitée que par des vents plutôt taquins qui s’amusaient à bousculer quelques meules de foin et à ployer les arbres sans qu’ils ne cassent. Les plus anciens villageois se souvenaient cependant : par un triste jour de l’enfance de leurs grands-parents, un vent mauvais avait tout dévasté au point que depuis lors on inculquait aux enfants la peur des tempêtes. Toute petite déjà, la jeune fille n’en avait cure.
Ce jour-là, on sonna l’alarme et chacun courut se barricader chez soi. La jeune fille, alerte, leva le nez, huma l’air, et s’élança hors de chez elle à l’instant où une bourrasque s’engouffrait dans l’unique rue du village. Elle fut emportée, et on entendit ses éclats de rires alors qu’elle tentait de remettre pied à terre. Elle s’aperçut bientôt que cela lui était impossible. Aussi essaya-t-elle de chevaucher le vent pensant à un jeu d’adresse. Cela aussi se révéla impossible. Ce n’était pas un jeu ! Elle était bel et bien prisonnière des ailes du vent. Pire, elle le vit détruire les toitures, aspirer l’eau de la rivière pour la recracher en trombes violentes. Il dévastait les champs, s’engouffrait dans les cheminées pour mettre le feu aux maisons… Finalement, le vent mauvais s’écroula, épuisé, et s’endormit sur un haut plateau dont il avait asséché en grande partie la végétation.
La jeune fille se redressa, toute étourdie et titubante. Elle respira profondément trois fois, puis courut se mettre à l’abri du seul arbre qui se dressait sur le haut plateau.
« Cache-moi, bel arbre, dit la jeune fille, toute tremblante. Le vent mauvais va sûrement partir à ma recherche. Entends son grondement. Il se lève à nouveau. » L’arbre l’enveloppa de son feuillage et s’arc-bouta de toutes ses racines. Le vent furieux balaya le plateau pour retrouver sa prisonnière. Il cingla encore et encore l’arbre qui dut se courber jusqu’à terre afin de ne pas révéler la présence de sa protégée. Ses racines profondément enfouies dans la terre, il se sentait sur le point de se briser. Ses feuilles se flétrirent. Heureusement le vent est inconstant. Sa nature est le mouvement. Il se lassa de demeurer encore en ce lieu durant ce qui lui semblait une éternité. Il s’éleva soudain dans l’espace et partit à la chasse aux nuages.
Dans le silence enfin retrouvé, commencèrent à percer le timide appel d’un oiseau, la réponse plus aiguë d’un autre. La jeune fille dit à l’arbre : « Tu m’as sauvé la vie et tu m’as donné plus que cela. Dans ton feuillage et malgré la tourmente j’ai perçu par instants le chant de l’union du ciel et de la terre, jamais je ne l’oublierai. Comment te remercier ? »
Et l’arbre répondit dans un murmure : « Le vent mauvais a asséché le haut plateau, il a aspiré ma force vive, sans eau je me meurs. Reste je te prie jusqu’à ma mort. »
La jeune fille s’écria : « Mais non ! Je ne veux pas que tu meures ! De toutes mes forces je t’apporterai de l’eau et t’abreuverai pour que tu vives aussi longtemps qu’il y aura des êtres pour admirer ta beauté et entendre ton chant… »
Elle grimpa au sommet de l’arbre et regarda aux quatre horizons pour y découvrir un fleuve. Désespérée, elle vit que tous étaient taris. Elle redescendit, la tête basse et les larmes aux yeux.
Tout à coup elle releva la tête et sourit. Les yeux mi-clos, elle fixait son attention sur son souffle, un avec le souffle de la terre, des cieux, des plantes, des êtres de toutes sortes… De son grand ami torturé par la soif… Et de son cœur jaillit une eau abondante qui se répandit jusqu’aux racines les plus profondes de l’arbre. L’eau coulait, généreuse. Des ruisselets firent germer des graines et la terre s’émailla de fleurs de toutes les couleurs. La jeune fille source riait de toute sa joie dans le feuillage reverdi. Heureux, l’arbre résonnait du chant de l’union de la terre et du ciel et de son amour pour la jeune fille. Quant au vent mauvais, vexé de n’avoir pu s’emparer d’elle à nouveau, on ne le revit plus jamais dans la région.
On raconte que sur un haut plateau quelque part dans notre monde, on peut encore, si l’on a beaucoup de chance, découvrir un arbre splendide et la source limpide qui fait un avec lui… Et si l’on a encore plus de chance, on peut les entendre résonner de leur chant d’amour en alternance avec celui de l’union de la terre et du ciel.
[1] Auteure de : Le Guerrier arc-en-ciel, éditions Chariot d’Or

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